Ankara (Turquie), 9 mai 2012, AFP - Le gouvernement islamo-conservateur turc veut privatiser les théâtres nationaux, provoquant la colère d'une partie du monde du spectacle qui dénonce un "arrêt de mort" des arts en Turquie.
Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan |
"Dans presque tous les pays développés, les théâtres ne sont pas entre les mains de l'Etat", a lancé le mois dernier le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan [du Parti pour la Justice et le développement (PJD)].
De nombreux artistes n'ont pas tardé à réagir, affirmant dans une pétition que la privatisation des théâtres équivaudrait à un "arrêt de mort".
"Il est difficile pour les théâtres nationaux de survivre sans les fonds publics", a expliqué à l'AFP Sahin Erguney qui dirige l'Association des artistes des théâtres nationaux, un des groupes signataires de la pétition.
"Si on retire les fonds publics aux théâtres, ce pays va aller vers une désertification culturelle", a-t-il ajouté.
Les théâtres subventionnés totalisent 5.000 ou 6.000 représentations par an, touchant un large public sur l'ensemble du territoire, a-t-il ajouté.
Il y a 58 théâtres nationaux en Turquie et des dizaines de théâtres privés plus ou moins subventionnés, pour la plupart dans les grandes villes telles qu'Ankara, Istanbul ou Izmir.
En 2012, le ministère a distribué près de 140 millions de livres (60 millions d'euros) aux théâtres nationaux et en 2011, environ 3,5 millions de livres (1,5 million d'euros) aux théâtres privés.
Ce conflit sur le financement des théâtres est le dernier d'une longue série entre le gouvernement et l'opposition laïque. La précédente polémique avait trait à la décision des autorités d'introduire des changements dans le système éducatif avec l'autorisation donnée aux enfants de 10 ans, et non plus 14, d'entrer dans les écoles religieuses.
La dispute concernant les théâtres a démarré avec l'annonce par le maire d'Istanbul, qui est membre du parti au pouvoir, de modifier le règlement des théâtres de la ville en nommant des fonctionnaires dans leurs organes de direction. Une initiative interprétée par certains comme une tentative d'ingérence.
M. Erdogan a défendu cette décision et s'en est pris aux artistes.
"Est-ce que les théâtres vous appartiennent dans ce pays ? Est-ce que les arts vous appartiennent ? a-t-il lancé aux intellectuels.
Des centaines d'acteurs et de personnels des théâtres ont manifesté le 1er mai, à Istanbul et Ankara, derrière des banderoles telles que: "Sultan ! Touche pas à mon théâtre !"
"Nous sommes des créateurs, notre liberté ne peut pas être limitée", affirme Tamer Levent qui dirige la Fondation des personnels du théâtre-opéra-ballets.
"Le Premier ministre a lancé contre nous une campagne de lynchage", fustige-t-il.
M. Erdogan a fait monter encore un peu plus la pression en laissant entendre que l'Etat pourrait donner de l'argent pour les oeuvres qui lui conviennent.
"S'il y a besoin d'un soutien, alors nous, en tant que gouvernement, nous pouvons aider les pièces que nous voulons", a-t-il dit.
Pour les artistes contestataires, il est clair que le gouvernement veut promouvoir un art "conservateur" conforme à l'idéologie du régime.
Le ministre de la culture, Ertugrul Günay, un modéré, s'est pour l'instant tenu à l'écart du conflit, se contenant d'affirmer que les artistes restent protégés par la constitution.
"Je suis sûr que le ministre trouvera une solution... et qu'il proposera une marche à suivre au Premier ministre qui lui permettra de se réconcilier avec les acteurs et les amateurs de théâtre", a pour a part souhaité l'éditorialiste Gungor Mengi, dans le journal Vatan.
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Turquie : Harcelé par le régime, le pianiste Fazil Say décide de s'exiler
Ankara (Turquie), 23 avril 2012, AFP - Fazil Say, compositeur et pianiste turc de renom international, a annoncé qu'il avait décidé de s'exiler au Japon, s'inquiétant de la montée d'un conservatisme islamiste opéré par le régime turc, dans un entretien au journal Hürriyet publié lundi.
"J'ai été exclu à 100% (de la société turque). Je pense qu'il est temps pour moi de m'installer au Japon", a indiqué l'un des plus grands talents contemporains de Turquie et porte-parole des milieux laïcs, se disant victime d'une intolérance sociale et d'une censure du régime sur ses oeuvres.
"Quand j'ai dis que j'étais athée (...) on m'a insulté. La justice a été saisie sur ce que j'ai écrit sur Twitter. Je suis peut-être la première personne au monde à faire l'objet d'une enquête en justice pour avoir déclaré mon athéisme", a-t-il dit.
Le pianiste avait récemment attiré les foudres des conservateurs en Turquie par des messages avec une pointe de provocation sur l'Islam sur Twitter. Un influent député du parti issu de la mouvance islamiste au pouvoir, (AKP, Parti de la justice et du développement), Samil Tayyar, lui avait répondu en insultant ouvertement sa mère "sortie d'un bordel", provoquant des remous dans la classe politique, la presse et les réseaux sociaux.
"Si je suis condamné à la prison, ma carrière sera terminée", a ajouté le musicien âgé de 41 ans qui passe une grande partie de son temps entre deux continents.
Dans le passé, il avait déclaré qu'en Turquie où les épouses de presque tous les ministres portent aujourdhui le voile islamique, les laïcs devenus minoritaires subissent la pression de la majorité qui cherche à imposer à tous, de plus en plus ouvertement, un mode de vie traditionnel basé sur les valeurs religieuses.
La loi turque réprime l'"insulte aux valeurs religieuses" de 3 mois à un an de prison.
En Turquie, dirigée par l'AKP depuis 2002, les laïcs craignent de plus en plus pour leurs libertés individuelles. Le femmes en particulier ont peur de ne plus avoir le libre arbitre dans le choix de la vie publique et privée quelles voudraient mener, selon les enquêtes.
La "pression du quartier", une pression sociale gagnerait en intensité, notamment dans les petites villes et les zones rurales.
L'AKP pour sa part nie toute volonté d'islamiser la société turque, officiellement à 99% musulmane.
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Turquie : Un procureur réclame la prison pour le pianiste Fazil Say (presse)
ANKARA, 26 mai 2012 (AFP) Un procureur d'Istanbul a réclamé jusqu'à un an et demi de prison pour Fazil Say, le compositeur et pianiste turc de renom international, accusé d'atteinte aux valeurs religieuses pour des messages jugées offensants sur l'Islam sur Twitter, rapporte samedi la presse turque.
Le virtuose du clavier âgé de 42 ans est accusé notamment d'avoir "sans raison apparente porté atteinte aux valeurs religieuses qui sont sacrées", soulignent les journaux Hürriyet et Milliyet.
Le parquet d'Istanbul doit encore approuver l'acte d'accusation rédigé après des plaintes déposées par des particuliers pour l'ouverture d'un procès dans les jours à venir.
Le pianiste avait récemment attiré les foudres des conservateurs en Turquie par des messages sur Twitter. Affichant son athéisme, il s'était moqué de l'appel à la prière du muezzin avec à l'appui des vers du grand poète persan du XIème siècle, Omar Khayyam, critiquant la religion.
Le virtuose, aussi célèbre pour ses talents de compositeur que pour ses interprétations du répertoire classique, avait affirmé le mois dernier n'avoir "plus d'autre voie" que de quitter la Turquie en butte, selon lui, à la montée de l'islam radical intolérant à toute autre mode de vie sous le régime du gouvernement islamo-conservateur turc.
Il a indiqué envisager de s'exiler au Japon.
"Je pense qu'il est temps pour moi de m'installer au Japon", a indiqué l'un des plus grands talents contemporains de Turquie et porte-parole des milieux laïcs, se disant victime d'une intolérance sociale et d'une censure du régime sur ses oeuvres.
"Je suis peut-être la première personne au monde à faire l'objet d'une enquête en justice pour avoir déclaré mon athéisme", a-t-il dit dans cet entretien à Hürriyet, ajoutant: "Si je suis condamné à la prison, ma carrière sera terminée".
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