dimanche 16 mars 2014

Culture : deux lettres de Jack Ralite au Président de la République


Jack Ralite (cf. photo ci-dessus), 85 ans, est bien connu, et respecté, des milieux culturels. Il vient de faire parvenir au Président de la République deux lettres à un mois d'intervalle, que nous publions ci-dessous, portant sur la politique culturelle de l'État et qui ont reçues un écho certain dans ces milieux.
Fabien Rivière
– Interview de Jak Ralite au sujet de la 1ère lettre, La MarseillaiseICI 
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JACK RALITE, UNE BIOGRAPHIE source : wikipédia 

Journaliste à L'Humanité, chargé des pages « culture » de l'édition dominicale, il est élu au conseil municipal d'Aubervilliers (93) en 1959, et devient adjoint d'André Karman.

Député communiste depuis 1973, Jack Ralite entre au gouvernement en juin 1981, devenant ministre de la santé puis de l'emploi dans les 2° et 3° gouvernements de Pierre Mauroy de 1981 à 1984

En 1984, il est élu maire d'Aubervilliers et siège au conseil régional d'Île-de-France de 1986 à 1992. Il est élu sénateur le 24 septembre 1995 puis réélu le 26 septembre 2004. Il démissionne en 2003 de la mairie d'Aubervilliers au profit de Pascal Beaudet, mais demeure conseiller municipal. Il a également été vice-président de Plaine Commune de 2000 à 2004.

Animateur des États généraux de la culture depuis 1987, et président des Carnets Bagouet depuis 1997, il siège aux conseils d'administration du Théâtre du Peuple depuis 1999, du Festival Paris quartier d'été depuis 1996, de la Cité de la musique entre 1999 et 2006, du Théâtre national de la Colline et de l'Ensemble intercontemporain depuis 2002 et du Centre des monuments nationaux de 2004 à 2008.

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13 février 2014
Lettre de Jack Ralite au Président de la République :
 "La politique culturelle ne peut marcher à la dérive des vents budgétaires"

Monsieur le Président,

  Par nos engagements culturels, artistiques et citoyens, nous sommes fidèlement attachés à la politique culturelle française que nous entendons voir se développer selon le principe d’invention de la perpétuelle ouverture. Or, nous constatons que cette démarche après avoir marqué le pas connaît notamment par la politique budgétaire de notre pays une situation s’aggravant de jour en jour. Beaucoup de ce qui avait été construit patiemment se fissure, voire se casse et risque même de disparaître. Le patrimoine dans sa diversité, le spectacle vivant dans son pluralisme, l’écriture, les arts plastiques, les arts de l’image et l’action culturelle sont en danger.

Faute de crédits suffisants, de personnels, de négociations, de considération et de reconnaissance du travail humain, du respect des métiers, se répandent des malaises, des souffrances, des colères. Le Ministère de la Culture risque de n’être plus le grand intercesseur entre les artistes et les citoyens. Il perd son pouvoir d’éclairer, d’illuminer. Les collectivités territoriales, dont le rôle est devenu immense en culture et en art,  voient leurs finances brutalisées et réduites par Bercy. L’Europe continue d’avoir une médiocre politique culturelle alors même qu’elle négocie avec les Etats-Unis un Traité de libre échange, gravissime pour la culture. Google, l’un des accapareurs des nouvelles technologies à civiliser, limite les citoyens à n’être que des consommateurs et s’installe en Irlande pour ne pas avoir à payer d’impôts en France. 

Le travail est tellement livré au management et à la performance que les personnels se voient ôter leurs capacités de respiration et de symbolisation. On a l’impression que beaucoup d’hommes et de femmes des métiers artistiques sont traités comme s’ils étaient en trop dans la société. On nous répond, c’est la crise. La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. La culture n’est pas un luxe, dont en période de disette il faudrait se débarrasser, la culture c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation. C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme.

Mais la politique actuelle est marquée par l’idée de « donner au capital humain un traitement économique ». Il y a une exacerbation d’une allégeance dévorante à l’argent. Elle chiffre obsessionnellement, compte autoritairement, alors que les artistes et écrivains déchiffrent et content. Ne tolérons plus que l’esprit des affaires l’emporte sur les affaires de l’esprit.

On est arrivé à l’os, et cinquante ans de constructions commencent à chanceler. Les êtres eux-mêmes sont frappés, le compagnonnage humain s’engourdit. L’omniprésence d’une logique financière d’Etat installe une dominance sur les artistes. Nous craignons le risque du pire dans la demeure culturelle. Le Medef ne vient-il pas de réclamer le transfert à l’Etat des annexes 8 et 10 de l’Unedic relatives aux intermittents du spectacle.

L’urgence est de stopper l’agression contre « l’irréductible humain », là où la femme, l’homme trouvent le respect d’eux-mêmes et le pouvoir de reprendre force contre tous les raidissements normatifs, les coups de pioche, le mépris, l’arrogance. Il est temps à ce « moment brèche » d’accomplir la fonction du refus à l’étage voulu. Il y a besoin d’une nouvelle conscience alors que croît la tentation de réduire la culture à un échange : j’ai produit, tu achètes. La culture se décline au contraire sur le mode : nous nous rencontrons, nous échangeons autour de la création, nous mettons en mouvement nos sensibilités, nos imaginations, nos intelligences, nos disponibilités. C’est cela qui se trouve en danger et requiert notre mobilisation et notre appel en votre direction.

L’histoire garde un geyser de vie pour quiconque a l’oreille fine et écoute éperdument. Encore faut-il renoncer au renoncement. L’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées. Nous avons tous un pouvoir d’agir à mettre en marche. C’est avec ces idées en tête et au cœœur que nous souhaitons, Monsieur le Président, vous faire part de notre vive inquiétude et vous demander de maintenir et de développer la politique culturelle. Un budget minoré pour ce travail indispensable serait grave. Même le surplace conduirait à des agios humains et politiques, à un freinage dans la culture.

La politique culturelle ne peut marcher à la dérive des vents budgétaires comme la politique sociale d’ailleurs avec qui elle est en très fin circonvoisinage. « L’inaccompli bourdonne d’essentiel » disait René Char.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en notre haute considération.

Anne ABEILLE, Sylvie GIRON, Michèle RUST « Les Carnets Bagouet »
Sophie AGUIRRE secrétaire générale de Sud – Culture – Solidaires
José ALFARROBA directeur du théâtre de Vanves et du Festival Artdanthe
Anne ALVARO comédienne
Ariane ASCARIDE comédienne
Georges BALANDIER professeur honoraire à la Sorbonne (sociologie – anthropologie)
Jean Damien BARBIN comédien
Marie-Christine BARRAULT comédienne
Michel BATAILLON dramaturge, 
et beaucoup d’autres…

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Le 13 mars 2014

Monsieur le Président de la République
Palais de l’Elysée
55 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris

Monsieur le Président,

Le 13 février dernier nous vous adressions une lettre relative à la situation très difficile de l’actuelle politique culturelle française.

Elle était signée par 157 personnalités représentant tout le monde concerné et exprimant un pluralisme rarement atteint : pluralisme des métiers, des sensibilités, des esthétiques, des territoires, des équipements du plus grand au plus petit, des artistes consacrés ou débutants. A cette diversité culturelle s’étaient ajoutés le monde des chercheurs et les cinq syndicats (CGT, CFDT, FSU, SNSC-UNSA, SUD) du ministère de la Culture.

Ce courrier vous l’avez senti parlait de sens, de conscience, il avait aussi comme dirait Pasolini « le sourire de la véritable espérance ».

Depuis chaque jour, nous recevons des soutiens.

Un mois après les signatures ont afflué et affluent. Beaucoup d’équipements l’ont répercuté auprès de ceux qui les fréquentent et nous sommes aujourd’hui comptables de plus de 6000 signatures.

De plus, nous avons pris connaissance du communiqué des huit grandes organisations culturelles que vous avez reçues le lundi 24 février dernier et nous y avons noté :

« Le Président de la République s’est voulu rassurant face aux difficultés sans précédent que rencontre le secteur. Mais dans l’attente d’engagements plus précis et de décisions concrètes, la profession ne doit pas relâcher sa vigilance ni ses exigences. Les organisations professionnelles appellent donc à rester très mobilisés sur ces enjeux de politiques publiques et d’emploi culturel qui engagent l’ensemble de la vie culturelle de la France ».

C’est pourquoi nous vous adressons aujourd’hui une deuxième liste de 226 signataires, tout aussi pluraliste que dans le premier courrier et qui indique combien est profonde et assurée la revendication d’une véritable politique culturelle corrigeant les manques et les remises en cause d’aujourd’hui qui ne concernent pas seulement des pierres, mais des valeurs humanistes et populaires.

Nous continuerons régulièrement à vous informer de l’ampleur de ce mouvement où commence à circuler l’idée qu’étant donné le bas niveau du budget de la culture, continuer de toucher à ses crédits peut apparaître comme une décision et non comme une impossibilité. On parle de plus en plus de décision d’abandon et il est souhaité que vous en mesuriez bien toutes les conséquences.

Un écrivain a pu dire : « Attention à l’inaccompli, attention aux retards d’avenir ».

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en notre haute considération et à notre engagement indéfectible pour la culture et la création artistique.

Pour Dominique Blanc, Catherine Tasca et Michel Piccoli.
Jack Ralite – 2 allée Henri Matisse – 93300 Aubervilliers

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