KURT COBAIN - The Last Shooting
YOURI LENQUETTE
Exposition du 25 Mars au 21 Juin 2014
Addict Galerie, 14-16 rue de Thorigny, 75003 Paris,
Métro Saint-Sébastien Froissart, ligne 8 www.addictgalerie.com
Mardi - Samedi 11:00 - 19:00 Métro Saint-Sébastien Froissart, ligne 8 www.addictgalerie.com
Si vingt ans ont passé depuis le suicide de Cobain, cette dernière prise de vue n’a rien perdu de son mystère un peu douloureux. Elle continue de nous laisser sur le rebord du précipice.
Exposée pour la première fois dans son intégralité, planches contacts et inédits compris, "The Last Shooting" fascine autant qu’elle interroge. C’est un bref instant, étrange car presque ludique, dans une histoire qui finit mal. C’est un document exceptionnel que le temps va charger d’un sens où l’absurde se dispute à l’héroïque. C’est enfin la dernière apparition d’un ange blond et maudit avant qu’il ne prenne son envol définitif.
Francis Dordor : Quand et dans quelles circonstances as-tu rencontré Kurt Cobain et Nirvana la première fois ?
Youri Lenquette : C’était aux Transmusicales de Rennes en décembre 1991. J’étais venu prendre contact avec le groupe en vue de réaliser un reportage sur leur tournée australienne de février 1992.
F.D : Quels souvenirs conserves-tu de cette tournée ?
Y.L : Le souvenir d’un groupe qui répugnait à se faire prendre en photo ! Kurt en particulier ! Ils m’ont trimballé partout dans le pays pour finalement m’accorder dix minutes juste avant de prendre l’avion du retour. Au final, j’ai eu ce que j’aurais pu obtenir n’importe où ailleurs. J’étais quand même là pour faire le reportage de couverture d’un magazine (Best)... Sinon, mis à part l’aspect photo, Kurt et moi avons sympathisé. Je me souviens d’une nuit où j’écoutais des cassettes de groupes punks américains des années 60 dans ma chambre d’hôtel. Il est venu frapper à ma porte. Nous avons discuté musique. Drogue aussi. Il me donnait l’impression d’un jeune gars que le succès avait déboussolé et qui cherchait les conseils d’un aîné. J’avais 35 ans, lui 25.
F.D : Vous êtes restés en contact après ça ?
Y.L : Nous nous sommes revus à Paris fin 92. Il est venu chez moi après le concert de Nirvana au Zénith. Ensuite je suis allé à Seattle en septembre 93 pour la sortie de l’album In Utero.
F.D : Quelles impressions conserves-tu de Kurt ?
Y.L : Celles d’un petit gars malingre très touchant qui visiblement avait d’énormes problèmes de communication avec l’extérieur. Trop énormes sans doute quand on se retrouve promu porte-parole de sa génération, que l’on a connu des difficultés matérielles toute sa vie et que du jour au lendemain on est riche au point de ne plus savoir combien l’on a sur son compte en banque. Et quand on se débat avec de sérieux problèmes de dope. Il aurait été de la trempe d’un Mick Jagger, il aurait pu surmonter tout ça. Mais Kurt n’avait pas le cynisme d’un Jagger. C’était un intègre. Il croyait à ce qu’il chantait et ne se serait renié pour rien au monde.
F.D : Comment s’est déroulée cette fameuse dernière séance ?
Y.L : Quand il était à Paris, il passait souvent par mon studio. Il y restait une partie de l’après-midi, à moitié prostré sur le canapé, à jouer de la guitare ou à inspecter ma collection de disques. C’était devenu une habitude. Un jour, il me dit qu’il aimerait faire une séance. Évidemment, je n’y ai pas cru. Voilà un mec qui ne voulait pas faire de photos quand la couverture d’un magazine était en jeu et qui soudain, de lui-même, initiait la chose ! Pour moi, c’était du pipeau. Du coup j’ai libéré mon assistant et ma maquilleuse. Mais vers 21h30, coup de téléphone de Kurt qui m’annonce qu’il monte dans un taxi et qu’il arrive. Branle-bas de combat : je n’ai ni assistant, ni maquilleuse, pas même les pellicules que j’utilise d’habitude. J’appelle un copain pour qu’il vienne me filer un coup de main. Quand le groupe arrive, Kurt a ce flingue dans la main. Il a aussi des plaques sur le visage. Il décide de se maquiller lui-même. Mais c’est tellement ridicule que je fais appeler une copine pour qu’elle ramène sa trousse...
F.D : Le flingue, c’était son idée…
Y.L : Oui il a insisté. C’est lui qui a initié toutes les poses, sur la tempe, dans la bouche, pointé vers l’objectif...
F.D : L’autre accessoire c’est cette coiffe tribale...
Y.L : C’est une parure de chef que je venais de ramener d’un voyage au Zimbabwe et sur laquelle Kurt a jeté son dévolu.
F.D : On voit également des photos du groupe au complet. Et même avec quatre membres au lieu de trois...
Y.L : Pat Smear, ancien guitariste des Germs, venait de rejoindre le trio d’origine pour cette tournée européenne...
F.D : As-tu donné une signification particulière à cette séance après l’annonce de son suicide en Avril 1994 ?
Y.L : Je n’ai jamais cru à la thèse d’un message qu’il aurait voulu faire passer. Poser avec une arme à feu reste un grand classique de la photo rock après tout... Une autre raison me faisant penser que ce n’était pas prémédité, c’est qu’avant de se quitter ce soir là, Kurt avait flashé sur mes photos des temples d’Angkor et qu’on s’était promis d’y aller ensemble après la tournée...
F.D : Comment as-tu géré la suite ? Certaines photos sont tellement parlantes qu’elles ont dû forcément susciter la surenchère...
Y.L : J’ai demandé à mon agence de l’époque de ne pas mettre en vente les plus dérangeantes, celles où il a le flingue dans la bouche ou sur la tempe. J’ai eu des propositions très tentantes financièrement. Mais elles émanaient de journaux qui n’auraient jamais parlé de Nirvana en temps normal et dans lesquels Kurt n’aurait certainement pas voulu apparaître. Ce qui n’a pas empêché la polémique. Quelques mois plus tôt à Seattle, Kurt avait déjà posé avec un pistolet en plastique dans la bouche et sur la tempe. Ces photos étaient diffusées depuis longtemps quand il s’est suicidé...
F.D : À l’aune d’une longue carrière, que représente pour toi cette séance ?
Y.L : Techniquement ce n’est pas ma meilleure prise de vue. Mais symboliquement c’est fort... Je dirais que le titre de l’exposition "The Last Shooting" vaut aussi pour ma propre trajectoire étant donné qu’après la mort de Kurt, je me suis détourné du rock pour m’intéresser à autre chose. Comme si toute la mythologie autour de cette musique avait soudain perdu de son attrait avec sa disparition.
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