samedi 28 juin 2014

Quand un gouvernement de gauche n'agréait pas la convention d'assurance chômage

PARU SUR LA PAGE FACEBOOK DU SOCIOLOGUE MATHIEU GRÉGOIRE
Mathieu Grégoire
À l'heure où le gouvernement s'apprête à agréer la convention d'assurance chômage, il n'est pas inintéressant de relire cet article du Monde du 25 juillet 2000 qui rapporte les arguments de Mme Aubry et M Fabius pour ne pas agréer la convention d'assurance chômage. Contrairement à ce que disent le gouvernement et le "médiateur" Jean-Patrick Gille, la décision est motivée par une question d'opportunité politique (Points 1,2,3 et 4) et non seulement d'opportunité juridique (point 5).

Le gouvernement refuse le « plan d'aide au retour à l'emploi » du Medef
Article paru dans l'édition du 25.07.00
Dans une lettre aux partenaires sociaux, Martine Aubry et Laurent Fabius annoncent que le gouvernement n'agrée pas la convention d'assurance-chômage signée par le patronat, la CFDT et la CFTC. Il propose de nouvelles négociations, avec ou sans sa participation
SOCIAL Par une lettre adressée, lundi 24 juillet, aux responsables patronaux et syndicaux, ainsi qu'aux gestionnaires de l'Unedic, Laurent Fabius et Martine Aubry annoncent que le gouvernement refuse d'agréer la nouvelle convention d'assurance-chômage et demandent « une reprise des négociations ». Les ministres des finances et de l'emploi contestent les termes du texte signé par le Medef, la CFDT et la CFTC, le 29 juin, et font valoir qu'il comporte de nombreuses « clauses illégales ». LE PATRONAT DE L'INTÉRIM a fait des offres de service aux signataires du projet pour participer à l'évaluation des chômeurs prévue par le plan d'aide au retour à l'emploi (PARE). LA CFDT, qui, comme le patronat, avait brandi la menace de quitter le régime d'assurance-chômage en cas de refus d'agrément de la part du gouvernement, a le dos au mur. 
SÉVÈREMENT annotée, la copie est renvoyée à ses auteurs. Lundi 24 juillet, au terme du délai légal, Martine Aubry et Laurent Fabius argumentent point par point, dans une lettre commune, sur les raisons qui conduisent le gouvernement à « ne pas pouvoir agréer » la convention d'assurance-chômage signée par le patronat, la CFDT et la CFTC. Jugeant plusieurs clauses de l'accord « contradictoires avec les objectifs affichés » du plan d'aide au retour à l'emploi (PARE), le gouvernement estime qu' « une reprise des négociations est souhaitable ». Cependant, mardi, deux arrêtés seront publiés au Journal officiel pour agréer les avenants relatifs à la reconduction de l'ARPE et des conventions de conversion, afin de « ne pas pénaliser les chômeurs ». Ces dispositifs, selon le gouvernement, peuvent être séparés de la convention Unedic.
Pour les signataires, la rebuffade est réelle. Le 11 juillet, le président du Medef, Ernest-Antoine Seillière affirmait encore que « l'accord ne sera pas renégocié, de manière indirecte, avec un gouvernement qui dirait "je suis d'accord avec ceci, pas d'accord avec cela" ». Le soutien apporté au PARE par Jacques Chirac, le 14 juillet, n'a rien arrangé. Au lendemain de l'intervention du président de la république, Mme Aubry ne cachait pas son irritation, estimant que le nouveau dispositif contribuerait, au contraire du souci affiché par M. Chirac, à élargir la « fracture sociale ».
Le courrier de cinq pages signé par la ministre de l'emploi et le ministre de l'économie a été envoyé, lundi, dans la matinée, aux numéros uns patronaux et syndicaux, ainsi qu'à Denis Gautier-Sauvagnac (Medef), président de l'Unedic, et à son vice-président, Michel Jalmain (CFDT).
Le 3 juin, avant la signature de la convention, les deux ministres avaient déjà lancé un avertissement écrit aux négociateurs (Le Monde du 6 juin). Cette fois, tout en affirmant partager pleinement l' « objectif de développement de l'aide personnalisée aux demandeurs d'emploi », ils contre-attaquent sur tous les points essentiels. Ainsi, sur 75 milliards de francs d'excédents attendus par l'Unedic d'ici à 2003, les ministres soulignent que « moins de 4 milliards » sont consacrés à l'extension de la couverture-chômage et que le passage de huit à quatre mois de travail dans les quatorze derniers mois pour bénéficier de cette couverture aboutirait à « 30 000 entrées supplémentaires par an », soit une « augmentation de 0,2 point » seulement du nombre de chômeurs indemnisés. Les ministres rappellent que la proportion des chômeurs indemnisés « a baissé de plus de 11 points depuis 1993 ».
Deuxième critique : « la convention ne garantit pas les moyens financiers » nécessaires à la création du PARE, qui s'accompagne de la fin de la dégressivité des allocations. Le gouvernement relève que « 71 milliards de francs seraient consacrés à des baisses de cotisations », en priorité celles des employeurs, « dont la baisse est de 40 % plus élevée que celle prévue pour les salariés ». « Aucune enveloppe spécifique » n'étant prévue pour le PARE, celui-ci ne serait financé que par des radiations et des suppressions d'allocation. Or « il est clair qu'on ne peut préjuger du montant de ces économies », estiment les ministres. Mme Aubry et M. Fabius observent aussi qu'il « n'est plus possible d'opérer la clarification des relations » entre l'Etat et l'Unedic, alors que « les efforts des contribuables et, notamment, les 30 milliards de francs décidés en 1993 pour éviter la faillite du régime d'assurance-chômage ne peuvent rester à sens unique ».
Le gouvernement refuse - troisième point - l' « émergence d'un système à double vitesse ». Il considère que, si les sanctions sont « normales » pour les chômeurs « qui ne font pas de réel effort », elles « doivent rester de la responsabilité de l'Etat », d'autant plus que la définition des emplois qu'un chômeur n'aurait pas le droit de refuser est floue. « DES CLAUSES ILLÉGALES » Quatrièmement, le gouvernement condamne la suppression de mesures telles que les conventions de conversion. Dans un argumentaire préparé séparément, il relève qu' « aucun système équivalent » de substitution « n'est prévu ». Or ces conventions sont utilisées pour les salariés licenciés économiques employés dans des PME qui n'ont pas obligation de bâtir des plans sociaux. Il en va de même pour l'allocation de formation reclassement (AFR), dont la disparition est elle aussi programmée.
Cinquième point, les ministres se réfèrent à une décision du Conseil d'Etat de 1995, selon laquelle l'Etat ne peut agréer une convention sous réserve d'une validation législative ultérieure pour certains dispositions. Par conséquent, « le seul fait que la convention comporte des clauses illégales fait obstacle à un agrément de l'ensemble de la convention ». En 1992 - mais c'était avant l'arrêt de 1995 -, Mme Aubry avait agréé la convention avant que les modifications législatives nécessaires ne soient présentées au Parlement.
En conclusion, le gouvernement « appelle chacun à ses responsabilités » et demande la réouverture de négociations, en proposant éventuellement sa participation. Ce scénario ayant toujours été rejeté par le Medef, la CFDT et la CFTC, jamais le risque de rupture n'a été aussi grand. Si le patronat quittait l'organisme paritaire, le tribunal de grande instance devrait être saisi et un administrateur provisoire nommé pour appliquer, sans délai, l'ancienne convention. Si ce départ s'accompagnait de celui de la CFDT, le gouvernement serait alors dans l'obligation de créer un établissement public avant d'édicter de nouvelles règles et de reconfier, à ceux qui les voudraient, les clés du régime d'assurance-chômage."
Isabelle MANDRAUD

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