Samuel Churin
Treize ans. Treize ans de combats, de luttes acharnées à décrypter, expliquer, convaincre.
Treize ans de grèves, d’occupations, d’actions. Je me souviens entre autre de l’annulation du festival d’Avignon 2003, de l’occupation du toit du MEDEF, de l’élaboration d’un nouveau modèle d’Assurance Chômage, de la création de la permanence CAP qui aide tous les chômeurs en difficulté, de l’occupation en direct de la Star Ac’ et du journal de 20h devant un Pujadas hébété, de la création du comité de suivi à l’Assemblée Nationale, du festival de Cannes où nous obtenons un fonds provisoire, de l’occupation des ministères de la Culture, du Travail, de la Cour des Comptes, des universités ouvertes, de la grève à Montpellier, des tables de concertations où nous arrivons à convaincre du bienfondé de nos propositions jusqu’aux dernières occupations des Théâtres.
Treize ans pendant lesquels des coordinations de toute la France se réunissent en Coordination Nationale. Treize ans que nous disons que l’accord des intermittents du spectacle est injuste, qu’il repose sur un principe capitalisé, que les exclus du régime financent les Assedics versées aux salariés à haut revenus, que l’on a des propositions mutualistes, redistributives qui plafonnent les plus « riches » pour donner aux pauvres.
Nous avons tous traversé des longs tunnels, faits de doutes, de « à quoi bon puisque de toute manière on parle dans le vide », de « c’est fini j’arrête tout ».
Et la nuit dernière, celle du 27 au 28 avril 2016, ILS L’ONT FAIT !
Les syndicats du secteur ont signé un accord répondant à tous ces critères.
Pour les techniciens et les artistes c’est Date Anniversaire, 507h sur 12 mois avec indemnisation sur 12 mois, heures de formation à 70h (120 h pour les plus de 50 ans), congés maternité, pour les artistes et réalisateurs un cachet unique de 12 h (finis les cachets de 8h). Voilà pour les principales mesures.
Cet accord est le nôtre, c’est une immense victoire. Il faut le porter haut, s’en réjouir totalement sans rechigner. Et il faut d’autant plus le défendre, le revendiquer, qu’il est fragile.
Nous devons nous battre comme des lions pour que n’en soit pas retirée une seule ligne.
Il reste clairement deux étapes à franchir :
Tout d’abord que l’état ne participe pas aux frais. Nous devons rester pleinement dans la solidarité interprofessionnelle et éviter le début d’une caisse autonome qui conduirait à notre perte. Si l’état met de l’argent, l’accord ne sera plus pérenne, nous serons tributaires des budgets revus annuellement et surtout c’est accepter le cadrage du MEDEF.
Ce cadrage n’est pas une provocation, mais une réelle volonté. Et le résultat conduira à se plier devant les exigences déjà fixées qui visent à faire 400 millions d’euros d’économies par an en 2020. Autrement dit, la suppression de l’intermittence, ce dernier régime spécifique qui couvre l’activité réduite.
Ensuite il faut que les confédérations (dont le MEDEF) reprennent l’accord tel qu’il est.
Le MEDEF pourra toujours essayer de le mettre à la poubelle, mais je sais que la colère sera à la hauteur de ce que nous avons obtenu. Certes, le MEDEF parait intouchable dans sa tour d’ivoire. Nous pourrons néanmoins envisager des actions pour lui nuire.
Mais puisque Manuel Valls croit tant au dialogue social derrière lequel se cache pourtant un paritarisme mafieux où les règles donnent tout pouvoir aux puissants, qu’il se débrouille avec le MEDEF pour lui faire signer l’accord tel qu’il est. Après tout, c’est Valls qui annonce triomphalement depuis un an que les intermittents sont sauvés, qu’ils ne doivent plus servir de variable d’ajustement. Dont acte.
Oui cet accord mutualiste, juste, nous devons le considérer comme acquis et il sera d’autant plus difficile de nous le retirer. Nous avons attendu treize ans, nous ne laisserons personne ne nous le reprendre.
Mais nous ne pouvons pas triompher tant il reste de chemin à parcourir pour que l’ensemble des chômeurs soient indemnisés. Les dernières propositions du MEDEF sur le Régime Général sont immondes. Les plus pauvres sont les plus attaqués. L’activité réduite est la plus visée et les coupes dans les indemnités sont terribles.
« Ce que nous défendons nous le défendons pour tous » ne doit pas rester un slogan. Ce n’est même pas une question de solidarité, simplement du bon sens, comme une évidence.
Nous sommes les mieux placés pour comprendre qu’une continuité de revenus sur une discontinuité d’emplois est vitale pour manger, se loger, pour vivre tout simplement. Nous le savons intimement puisque nous nous battons pour cela depuis toujours. Nous ne pouvons pas rester comme cela sur notre petit terrain et regarder toutes celles et ceux qui ont exactement les mêmes pratiques d’emplois que nous mourir à petit feu.
Oui l’intermittence du spectacle doit être étendue à toute l’intermittence de l’emploi.
À ceux qui nous ont donné des leçons sur l’annulation du festival d’Avignon, sur le fait qu’on allait trop loin, que l’on sciait la branche sur laquelle on était assis, que la révolution se faisait sur scène et pas ailleurs, que le théâtre était si sacré qu’il ne pouvait pas être perturbé ne serait-ce qu’un soir, nous pouvons leur dire : vous avez définitivement tort, l’histoire nous a donné raison. La longue route de treize années qui ouvre enfin la perspective d’un horizon un peu plus dégagé prouve une chose : la lutte porte ses fruits. Ce qui était impensable il y a encore peu de temps est devenu réalité.
Servons nous de cette première victoire, ne la boudons pas, prenons la en exemple contre tous les discours résignés, amplifions le mouvement afin que tous les chômeurs soient indemnisés.
Ecoutons les enseignements du passé et du Conseil National de la Résistance qui avait créé des droits inconditionnels attachés à la personne et gérés par des salariés élus.
Il faudra être très nombreux, convaincre, trouver des cibles appropriées pour nuire au MEDEF et le déclarer illégitime. Alors nous pourrons dans une immense joie pouvoir dire : l’histoire nous a encore donné raison.
Samuel Churin
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