samedi 21 mai 2016

Livre - Jean-Marc Adolphe, Nuit debout et culture assoupie - parution le 7 juillet


«  Quelques semaines après le lancement de Nuit Debout sur la place de la République à Paris, alors même que ce mouvement citoyen commençait à faire tache d’huile dans tout le pays, les milieux artistiques et culturels restaient étrangement discrets voire totalement silencieux. À partir d’un premier billet de blog mis en ligne le 19 avril 2016 sur Médiapart — « Il se passe quelque chose... (sauf dans la culture) » [ ICI -  ] — et des réactions que ce texte a suscitées, Jean-Marc Adolphe a entrepris de donner une suite à Crise de la représentation, fable de politique-fiction, écrit en 2003 au plus vif du conflit des intermittents et de l’annulation du festival d’Avignon.  » En savoir +

SOUSCRIPTION 10,85 € TTC  15,50 € TTC (remise de 30 %)

Syndeac - « Culture : démolition en cours ? »

Le Syndeac est le syndicat national des 
entreprises artistiques et culturelles
Article publié le 20 mai 2016
Visuel ci-dessus choisi par le Syndeac
Culture : démolition en cours ?

Nous, directrices et directeurs de lieux, de compagnies et de festivals, nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Depuis des mois, nous alertons la puissance publique sur la gravité des conséquences de la réforme territoriale et des différents plans d’économie décidés pour s’ajuster aux critères européens. Les collectivités se désengagent du financement de la politique publique de la Culture. L’État a permis son propre affaiblissement dans ce domaine.

À croire que plus personne ne doit rien à l’intérêt général. Les équipements artistiques et culturels sont au cœur des affrontements politiciens les plus vains et des petites passions idéologiques. Ils sont réputés superflus, non rentables, et exposés aux dernières tocades de l’événementiel populiste. La gouvernance de la culture est désorganisée par les impérities, atomisée dans ses instances, bientôt marchandisée.

Pourtant, la République, ce n’est pas une collection de territoires et d’intérêts locaux autonomes. Dans un esprit de responsabilité partagée entre les collectivités et l’État, la réforme territoriale doit reposer sur le croisement et la complémentarité des subventions. Si rien n’est fait, c’est ce modèle fondamental de la décentralisation culturelle qui aura vécu. C’est tout l’héritage de l'exception culturelle française qui sera bradé.

Quand les moyens de la création sont attaqués, c’est d’abord l’emploi qui baisse. Le recul continu des subventions des établissements et des compagnies provoque une crise sans précédent.

Nous ne serons bientôt plus en mesure d’accomplir correctement les missions qui nous sont confiées ; nous ne pourrons bientôt plus assumer les accords d’entreprise et les conventions issus du dialogue social.
Nous refusons d’être les fossoyeurs de notre propre profession.
Nous refusons d’organiser le plan social qui se profile. Faudra-t-il dénoncer collectivement nos conventions d’objectifs ? Faudra-t-il démissionner collectivement pour être entendus ?

Nous exigeons désormais des actes forts de l’État, des exécutifs des nouvelles Régions et des collectivités sur la place des arts et de la culture dans chaque territoire.

Nous appelons solennellement à la nomination d’un Haut-Commissaire auprès du Préfet de chaque Région, pour réguler le financement public de la Culture selon des projets territoriaux.

Nous appelons nos adhérents à une publication de nos missions et de nos moyens pour organiser partout le débat avec les professionnels, les spectateurs, nos concitoyens.

vendredi 20 mai 2016

Pierre Bourdieu : Combattre la technocratie sur son terrain. Discours aux cheminots grévistes, Paris, Gare de Lyon, 12 décembre 1995

Pierre Bourdieu et Annick Coupé le 12 décembre 1995, Vu/J-F Campos


Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d'une civilisation, associée à l'existence du service public, celle de l'égalite républicaine des droits, droits à l'éducation, à la sante, à la culture, à la recherche,  à l'art, et, par-dessus tout, au travail. Je suis ici pour dire que nous comprenons ce mouvement profond, c'est-à-dire à la fois le désespoir et les espoirs qui s'y expriment, et que nous ressentons aussi ; pour dire que nous ne comprenons pas (ou que nous ne comprenons que trop) ceux qui ne le comprennent pas, tel ce philosophe qui, dans le Journal du Dimanche du 10 décembre, découvre avec stupéfaction "le gouffre entre la compréhension rationnelle du monde", incarnée selon lui par Juppé - il le dit en toutes lettres -, "et le désir profond des gens".

Cette opposition entre la vision à long terme de "l'élite" éclairée et les pulsions à courte vue du peuple ou de ses représentants est typique de la pensée réactionnaire de tous les temps et de tous les pays ; mais elle prend aujourd'hui une forme  nouvelle, avec la noblesse d'Etat, qui puise la conviction de sa légitimité dans le titre scolaire et dans l'autorité de la science,  économique notamment : pour ces nouveaux gouvernants de droit divin, non seulement la raison et la modernité, mais aussi le mouvement, le changement, sont du côté des gouvernants, ministres, patrons ou "experts"; la déraison et l'archaïsme,  l'inertie et le conservatisme du côté du peuple, des syndicats, des intellectuels critiques.    

C'est cette certitude technocratique qu'exprime Juppé lorsqu'il s'écrie: "Je veux que la France soit un pays  sérieux et un pays heureux". Ce qui peut se traduire: "Je veux que les gens sérieux, c'est-à-dire les élites, les énarques, ceux qui savent où est le bonheur du peuple, soient en mesure de faire le bonheur du peuple, fut-ce malgré lui, c'est-à-dire contre sa volonté ; en effet, aveuglé par ses désirs dont parlait le philosophe, le peuple ne connaît pas son bonheur - en particulier son bonheur d'être gouverné par des gens qui, comme M. Juppé, connaissent son bonheur mieux que lui". Voilà comment pensent  les technocrates et comment ils entendent la démocratie. Et l'on comprend qu'ils ne comprennent pas que le peuple, au nom duquel ils prétendent gouverner, descende dans la rue - comble d'ingratitude ! - pour s'opposer à eux.    

Cette noblesse d'Etat, qui prêche le dépérissement de l'Etat et le règne sans partage du marché et du consommateur, substitut commercial du citoyen, a fait main basse sur l'Etat ; elle a fait du bien public un bien privé, de la chose publique, de la République, sa chose. Ce qui est en jeu, aujourd'hui, c'est la reconquête de la democratie contre la technocratie : il faut en finir avec la tyrannie des "experts", style Banque mondiale ou F.M.I., qui imposent sans discussion les verdicts du nouveau Leviathan (les "marchés financiers"), et qui n'entendent pas négocier mais "expliquer" ; il faut rompre avec la nouvelle foi en l'inévitabilité historique que professent les théoriciens du libéralisme ; il faut inventer les nouvelles formes d'un travail politique collectif capable de prendre acte des nécessités, économiques notamment (ce peut être la tache des experts), mais pour les  combattre et, le cas écheant, les neutraliser.    

La crise d'aujourd'hui est une chance historique, pour la France et sans doute aussi pour tous ceux, chaque jour plus nombreux, qui, en Europe et ailleurs dans le monde, refusent la nouvelle alternative : libéralisme ou barbarie. Cheminots, postiers, enseignants, employés des services publics, étudiants, et tant d'autres, activement ou passivement engagés dans le mouvement, ont posé, par leurs manifestations, par leurs déclarations, par les réflexions innombrables qu'ils ont déclenchées et que le couvercle médiatique s'efforce en vain d'étouffer, des problemes tout à fait fondamentaux, trop importants pour être laissés à des technocrates aussi suffisants qu'insuffisants : comment restituer aux premiers intéressés, c'est-à-dire à chacun de nous, la définition éclairée et raisonnable de l'avenir des services publics, la santé, l'éducation, les transports, etc., en liaison notamment avec ceux qui, dans les autres pays d'Europe, sont exposés aux mêmes menaces? Comment réinventer l'école de la République, en refusant la mise en place progressive, au niveau de l'enseignement supérieur, d'une éducation à deux vitesses, symbolisée par l'opposition entre les grandes ecoles et les facultés? Et l'on peut poser la même question à propos de la santé ou des transports. Comment lutter contre la précarisation qui frappe tous les personnels des services publics et qui entraîne des formes de dépendance et de soumission particulièrement funestes dans les entreprises de diffusion culturelle  (radio, télévision ou  journalisme), par l'effet de censure qu'elles exercent, ou même dans l'enseignement?    

Dans le travail de réinvention des services publics, les intellectuels, écrivains, artistes, savants, etc., ont un rôle déterminant à jouer. Ils peuvent d'abord contribuer à briser le monopole de l'orthodoxie technocratique sur les moyens de diffusion. Mais ils  peuvent aussi s'engager, de maniere organisée et permanente, et pas seulement dans les rencontres occasionnelles d'une conjoncture de crise, aux côtés de ceux qui sont en mesure d'orienter efficacement l'avenir de la societé,  associations et syndicats notamment, et travailler à élaborer des analyses rigoureuses et des propositions inventives sur les grandes questions que l'orthodoxie médiatico-politique interdit de poser : je pense en particulier à la question de l'unification du champ économique mondial et des effets économiques et sociaux de la nouvelle division mondiale du travail, ou à la question des prétendues lois d'airain des marchés financiers au nom desquelles sont sacrifiées tant d'initiatives politiques, à la question des fonctions de l'éducation et de la culture dans des économies où le capital informationnel est devenu une des forces productives les plus déterminantes, etc.

Ce programme peut paraître abstrait et purement théorique. Mais on peut récuser le technocratisme autoritaire sans tomber dans un populisme auquel les mouvements sociaux du passé ont trop souvent sacrifié, et qui fait le jeu, une fois de plus, des technocrates.

Ce que j'ai voulu exprimer en tous cas, peut-être maladroitement - et j'en demande pardon à ceux que j'aurais pu choquer ou ennuyer -, c'est une solidarité réelle avec ceux qui se battent aujourd'hui pour changer la societé : je pense en effet qu'on ne peut combattre efficacement la technocratie, nationale et internationale, qu'en l'affrontant sur son terrain privilégié, celui de la science, économique notamment, et en opposant à la connaissance abstraite et mutilée dont elle se prévaut, une connaissance plus respectueuse des hommes et des réalités auxquelles ils sont confrontés. 

jeudi 19 mai 2016

Premières de "Un sueño despierto", film de Christophe Haleb, à Fort-de-France et La Havane




Christophe Haleb est un chorégraphe qui réside à Marseille (France). Site de la compagnie :  www.lazouze.com

Un sueño despierto (en français, Un rêve éveillé) est un documentaire-fiction. Le tournage a été realisé à La Havane (Cuba) en novembre et décembre 2015. Sept semaines de travail entre février et mai 2016, dans les parages de Marseille (France) et à Paris. 
PREMIÈRES diffusions du film : 
— Biennale de la danse de la Martinique (12 - 21 mai, SITE), Tropiques Atrium, Scène nationale de la Martinique, Fort-de-France, 17 mai 2016. 
— Le Mois de la Culture Fançaise à Cuba, La Havane, le 21 mai au LAB.26, les 25 et 26 mai au Ciervo encantando,  le 27 à la Fabrica de Arte Cubano. 

Hommages à Fabrice Dugied (ou pas)

Portrait de Fabrice Dugied, Foyer rural le jour de l'enterrement, Photo Fabien Rivière ©

Fabrice Dugied est mort le lundi 4 mars à 52 ans d'une crise cardiaque (ici). Il a été enterré une semaine plus tard dans son village d'Ambleville, commune de 400 habitants située dans le Val-d'Oise, à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Paris. Assistant à la cérémonie, nous avons choisi de publier deux hommages, deux courts textes lus à cette occasion. Nous remercions chaleureusement les deux frères de Fabrice, Frédéric et Jean-Luc Dugied, et son compagnon Diederick Hofland, ainsi que les auteurs pour nous avoir autorisé à le faire. Précisons que Larrio Ekson est anglo-saxon. Nous avons conservé la forme orale le plus possible.
Fabien Rivière

— Larrio Ekson
Larrio Ekson est un danseur, chorégraphe et pédagogue américain né à New York en 1948, qui vit en France. Il a dansé pour et avec Carolyn Carlson, et Maurice Béjart ainsi que Jiry Kilian, Vittorio Biaggi, Anne Béranger, Joseph Russillio, Robert Cohen, Peter Goss. Il donne des master-classes de danse contemporaine à l’École de Danse de l’Opéra national de Paris depuis 2008.
Chers Frédéric, Jean-Luc, la famille & Diederick

Toutes mes condoléances ! 
J'ai le coeur brisé par notre enfant Fabrice :-( ! 
Je me souviens de lui gamin timide mais déterminé, à la Rotonde de l'Opéra de Paris, qui participait au cours avec nous, avec la troupe de Carolyn Carlson [1]. Je l'ai tout de suite adopté ! 
Je suis très fier de lui ! Fabrice est devenu un jeune homme qui a réussi sa vie d'artiste ! Il a réalisé son rêve dans la danse ! Il est devenu un artiste avec un grand A !! Je salue sa passion, depuis son plus jeune âge, son intelligence et sa douce personnalité !
Il n'est pas parti, car il restera toujours dans nos coeurs à travers son esprit, sa direction avec Amy [Swanson] du studio le Regard du Cygne, sa passion pour la danse, sa fidèle amitié, son âme, son dévouement, son amour ! 
Il est parti pour rejoindre ses parents et tous les grands artistes du monde, où il va poursuivre sa passion des spectacles ! Mon enfant adopté de la Rotonde de l'Opéra, tu resteras toujours dans mes pensées et dans mon coeur ! 
R.i.p mon petit prince, I will never forget you.

Mon coeur est avec vous tous 
Love Larrio Ekson  
[1] Invitée par Rolf Liebermann, Carolyn Carlson collabore dès 1974 avec le Ballet de l'Opéra de Paris en tant que chorégraphe-étoile. Cette association la conduit au poste de responsable du Groupe de recherches théâtrales de l'Opéra de Paris (GRTOP) dans l'espace de la Rotonde sous le bâtiment (1974 - 1980). Le GRTOP a pour buts de « créer, susciter, produire des spectacles nouveaux alliant toutes les disciplines artistiques actuelles ou à venir » à partir des oeuvres chorégraphiques de Carolyn Carlson.  
Lui succède le Groupe de recherche chorégraphique de l'Opéra de Paris (GRCOP), qui est un groupe de douze danseurs issus du Ballet de l'Opéra national de Paris fondé par Jacques Garnier en 1981. Privilégiant la création contemporaine, le GRCOP invite des chorégraphes confirmés comme Paul Taylor, Merce Cunningham, Karole Armitage, Lucinda Childs, et des jeunes créateurs français comme Régine Chopinot, Maguy Marin, François Verret, Karine Saporta et Philippe Decouflé, à créer des œuvres originales pour des danseurs de formation classique mais d'aspiration contemporaine. Le GRCOP a été maintenu huit ans. 

— Caroline Marcadé
Caroline Marcadé est une danseuse, chorégraphe et metteur en scène française. Elle est membre soliste du Groupe de recherches théâtrales de l'Opéra de Paris (GRTOP) (cf. texte ci-dessus). Elle fonde en 1993 le département Corps et Espace au Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) où elle est également professeur de danse.
Fabrice, tu t'es envolé si vite, je n'ai pas eu le temps de te dire que ton chant d'oiseau je l'aime, je l'ai toujours aimé. 
Depuis tes débuts à La Rotonde de l'Opéra où tu nous rejoignais, toi l'adolescent passionné, jusqu'à hier, la beauté de ton regard, la douceur de ton sourire, ta danse fine et légère, je te garde dans mon coeur, au chaud, je garde tout, tu vas voir nous allons danser encore longtemps ensemble.  
Toutes mes pensées amicales pour ton ami, pour ta famille, et pour l'immense tribu de toutes celles et de tous ceux qui, comme moi, t'aiment. 
Repose dans la paix, cher Fabrice. 
Caroline
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AMY SWANSON SALMON TIENT À PRÉCISER : 
" J'aimerais signaler que, aussi bien la DRAC (1) que le Ministère (2) ont envoyé des mots & des plantes magnifiques à l'occasion de l'enterrement de Fabrice. Je remercie toutes celles et ceux qui ont, de près ou de loin, honoré Fabrice ce jour du 11 avril, et aussi toutes celles et ceux qui écrivent des mots sur Facebook, publient des photos et continuent à apprendre cette triste nouvelle.... "
(1) Direction régionale des Affaires culturelles d'Île-de-France.
(2) Ministère de la Culture et de la Communication. 

mercredi 18 mai 2016

L' « Aurore » aveugle d'Alessandro Sciarroni

Aurora d'Alessandro Sciarroni, Photo Fabien Rivière ©

Aurora (en français, Aurore) est une création de l'Italien Alessandro Sciarroni que nous venons de voir à Bruxelles (Belgique) dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts, aux Halles de Schaerbeek. 

Précisons avant toute chose que nous n'avons rien lu qui concerne la pièce avant la représentation. 

Les spectateurs entrent dans un gymnase où va se jouer un match. Ils sont placés de part et d'autre de la longueur du terrain sur des gradins. Sur la largeur, de part et d'autre, des filets de buts de foot ou de handball. Mais deux anomalies frappent : le filet fait toute la largeur, et sa hauteur est fort inhabituellement basse. Le sol est d'un blanc puissant avec de fines et élégantes bandes d'un gris foncé. 

Quand nous entrons, les joueurs sont répartis dans l'espace, debout, immobiles, nous regardant sans nous regarder (on comprendra plus tard cette impression première). Survêtements dans les bleus clairs, bleus foncés et blancs. Ils portent aussi de façon non systématique des protections pour les genoux, les coudes, le mollet, les fesses. Les corps, d'une façon générale, ne correspondent pas exactement à ceux des danseurs contemporains, au sens de la norme de la chair fraîche. C'est à la fois troublant et satisfaisant. 

Dans une sorte de rituel, les yeux des joueurs vont être recouverts de ce qui suggère un pansement, puis de grosses et larges lunettes noires. 

Le jeu va commencer avec deux équipes de trois joueurs, et deux arbitres. Dans le ballon blanc se trouve un morceau métallique détaché qui se meut, produisant un son nécessaire pour deviner sa position. 

L'arbitre jette le ballon sur le terrain. Les joueurs seront debout, à quatre pattes, ou allongés sur le côté, en tension, quand il faut faire corps pour arrêter le ballon. 

On ne comprend rien, d'une certain façon, ce dont on se moque totalement. À un moment, on jubile et deux secondes plus tard on se dit que tout cela ne va quand même pas durer une heure. Puis on passe à autre chose. 

On est saisi par la situation. Lors d'une action de jeu on se surprend à lâcher un « Oh la vache ! » Mais on se demande de quel jeu il s'agit. Existe-t-il vraiment ? Comment  se nomme-t-il ? Qui y joue ? Sommes-nous aujourd'hui ou demain ? Dans un avenir proche ou lointain ? S'agit-il de danse ou de cinéma ? Ou plutôt, la danse peut sans rien céder à ses exigences, en restant elle-même, sans singer l'autre art si puissant, produire du cinéma, de façon redoutable.

Une éclipse guette. Il faut parler de la puissance de l'éclipse. La cécité happe. Notre position de spectateur bascule. La suprématie de l'œil dans notre perception du monde est mise en cause. 

La première présence de musique classique, de courte durée, que diffuse les enceintes suspendues là-haut, est ratée : outre qu'elle est inutile, pourquoi donner encore à ce genre musical cette capacité à cadrer la situation, à prendre de la hauteur face aux événements ? Et la qualité du son est mauvaise. La seconde intervention, beaucoup plus longue, est ambiguë. Dans un premier temps, on s'agace de nouveau, dans un second, on est submergé par l'émotion. Puis, un interprète se met à péter un plomb, gueulant dans une langue étrangère non identifiée et non traduite (autant le dire, cela ne fonctionne pas), pour finir en mélasse sans nom. S'agit-il d'un crash (subi) ou d'un hara-kiri (souhaité) ?

Soudain, on se dit, dans un humour étrange, que tout cela ne peut pas être réel, puisqu'il n'y a pas de logos de sponsors, partout. 

On jette un œil au programme de salle, et on comprend soudain l'enjeu central. Il porte, disons, sur l'identité des interprètes. Est-ce à cause de cela, mais le statut de la représentation change. A-t-on aveuglé des aveugles ? Le sens du mot jouer change, il se dédouble : on ne cesse de jouer et il n'y a rien à jouer. On se prend alors le réel en pleine gueule, au moment des saluts. 

C'est l'une des expériences chorégraphiques les plus passionnantes et puissantes de la saison.
Fabien Rivière

ALESSANDRO SCIARRONI
en FRANCE et en BELGIQUE

La France a découvert le travail de l'Italien Alessandro Sciarroni récemment : en 2013, lors des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis avec FOLK-S will you still love me tomorrow ?créée en juin 2012 ; puis en 2014, à travers une série de trois œuvres présentées par le Festival d'Automne à Paris : FOLK-S will you still love me tomorrow ?UNTITLED_I will be there when you die (juillet 2013) et JOSEPH_kids (juillet 2013). Nous avons vu les deux premiers au Monfort, et le dernier au CentQuatre. 

Du côté Belge, FOLK-S a été présentée pour la première fois en 2014, par le Kunstenfestivaldesarts. Depuis, le travail de  la compagnie a été vu à Louvain, Gand, Turnhout, Aalst et Hasselt.

FOLK-S explore le Schuhplattler, une danse bavaroise et tyrolienne typique dont le nom (battre la chaussure) vient du fait qu’elle consiste, littéralement, à taper ses chaussures et ses jambes avec ses mains. Le chorégraphe sort cette danse de son espace d'origine, fasciné qu'il est par le mouvement pur, ici très physique, dans une gestuelle répétitive, voire hypnotique sinon méditative. UNTITLED travaille le jonglage, dans la même optique. JOSEPH_kids est un solo de 20 minutes avec webcam, où l'interprète joue avec sa propre image. 
Fabien Rivière

Aurora, d'Alessandro Sciarroni, Halles de Schaerbeek, Kunstenfestivaldesarts (6-28 mai 2016), Bruxelles, Belgique, du 11 au 13 mai. SITE

Danse - Ruines de la critique et des institutions

Lettre ouverte aux artistes de ceci ou de cela

par Jean-Marc Adolphe, Mediapart, 9 mai 2016.

Pourquoi je me mets en grève de spectacles que j’aurais aimé voir, mais non, pas dans ces conditions-là…

EXTRAIT
En 2016, sauf erreur de ma part, ne subsiste plus qu’un seul critique de danse permanent, proche de la retraite, ce qui explique sans doute qu’il n’ait pas encore été licencié (au Nouvel Observateur). J’ai été témoin de la lente érosion de la considération jadis portée à la critique : aujourd’hui, à travers des « partenariats », les théâtres et festivals cherchent avant tout à assurer la réclame de leurs événements, et les journalistes sont peu ou prou tenus d’en assurer le service après-vente (publicitaire).  > SUITE
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Publié le 17 mai 2016 

Panaibra Gabriel Canda tire la langue

Panaibra Gabriel Canda dans (Un)official Language, Photo Fabien Rivière 

Le danseur et chorégraphe Panaibra Gabriel Canda est né à Maputo, la capitale du Mozambique, en 1975. Comme le titre de sa nouvelle création l'indique, (Un)official Language souhaite aborder la question ambitieuse du langage, des multiples langues qui se côtoient sur la planète, jusqu'à former sur scène une Tour de Babel, figurée par un empilement de cartons cubiques. Une langue qui forme des mots et des catégories qui servent à nommer des humains et dans lesquels on les enferme souvent. 

Pour ce faire, il dispose sur le plateau de la talentueuse chanteuse Maria João dont les vocalises sont un enchantement, du fort bon musicien João Farinha, de la danseuse Leia Mabasso et de lui-même. 

Mais il faut lire le programme de salle pour comprendre l'origine du projet : « Le Mozambique comptait 48 langues, mais la seule langue « non mozambicaine » est aujourd’hui l’officielle. Et lorsqu’il [Panaibra Gabriel Canda] voyage, il voit d’autant plus à quel point tout se réduit à une uniformité… Le portugais subit à son tour l’hégémonie de l’anglais qui le relègue au second plan. »

Les propos tenus sont assez banals, et la direction d'acteur faible. En cours de route surgit un autre sujet de préoccupation, la tradition, au travers des questionnements d'une femme qui lui sont adressées : « Tu as des traditions ? » et « Que reste-t-il des traditions ? »  De quoi faire sans doute le sujet d'une autre pièce (1). Comme si l'entreprise lâchait soudain. Surgi à-peu-près au même moment la joie simple de s'abandonner à la danse (traditionnelle) du Mozambique, qui n'a pas besoin de justifications intellectuelles.   

Sans doute le chorégraphe doit-il faire plus confiance à la danse, à sa danse, dire par le corps et laisser tomber le langage (pour le moment ?), et aussi travailler un peu moins la frontalité. 
Fabien Rivière

(1) Il dispose pour cela de deux très bons ouvrages d'historiens britanniques sur la question : L'invention de la tradition d'Éric Hobsbawm (The Invention of Tradition) et Les usages de la coutume : traditions et résistances populaires en Angleterre, XVIIe-XIXe siècle d'Edward Palmer Thompson (Customs in Common: Studies in Traditional Popular Culture). 

(Un)official Language, Panaibra Gabriel Canda, du 15 au 18 mai 2016, Théâtre 140, Kunstenfestivaldesarts, Bruxelles, Belgique. SITE

dimanche 15 mai 2016

Québec - Comment organiser les successions entre chorégraphes ?

VOIR (Québec), Texte collectif

Successions dans le milieu de la danse : entre précarité et choix collectifs 

En novembre, la compagnie O’Vertigo de la chorégraphe Ginette Laurin annonçait un changement de vocation pour devenir structure de soutien à différents artistes qui y créeront des oeuvres à grand déploiement [sous le nom de Centre de Création O Vertigo]. Le chorégraphe chouchou Dave St-Pierre est le premier à en bénéficier. Mais pas si vite, demande aujourd’hui un groupe de chorégraphes et danseurs qui auraient aimé un processus de consultation plus transparent auprès du milieu de la danse contemporaine montréalaise avant de réaffecter ces fonds publics. > SUITE

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PAR AILLEURS
www.overtigo.com
Logo du Centre de Création O Vertigo

Brésil - Polémique au sujet de la fusion du Ministère de la Culture avec le Ministère de l'Éducation

Le Monde, Par Paulo A. Paranagua (Rio de Janeiro,  envoyé spécial)

Le président intérimaire du Brésil, Michel Temer, a provoqué un tollé parmi les intellectuels, vendredi 13 mai, avec la fusion des ministères de l’éducation et de la culture. « Un recul », pour le cinéaste Carlos Diegues. Ce portefeuille avait été créé à la fin de la dictature militaire (1964-1985) par l’ancien président José Sarney, écrivain et académi-cien. Le seul qui avait osé le supprimer fut l’ultralibéral Fernando Collor de Mello (1990-1992), premier chef d’Etat à avoir fait l’objet d’une procédure d’impeachment (destitution).