Yves-Noël Genod a souhaité recevoir de nouveau en 2017 une aide du Ministère de la Culture et de la Communication, en l'espèce l'aide à la compagnie (dans le domaine de la danse; il existe aussi une aide au projet), ce qui lui a été refusé. Sur son Blog, Le Dispariteur, il a réagi le 9 janvier (ICI). Nous publions, pour information, ce texte qu'il a nommé L a Constitution d'un avenir :
L a Constitution d'un avenir
Bon, chers amis à qui je souhaite la bonne année, vous ne m’avez pas redonné l’aide à la compagnie, je pense (naturellement) que vous avez eu tort.
Oui, il y a eu un malentendu sur la « structuration », je pensais bien faire en montrant combien je passais presque tout l’argent dans la création et non pas dans l’administration, je pensais qu’on allait me donner une médaille, eh bien, non, on me coupe les vivre, mais il suffisait de me le dire, je l’aurais fait, de mettre plus d’argent dans la « structuration », si c’est comme ça que ça se fait, nous ne parlons pas la même langue, je suis artiste, mais je ne suis pas idiot non plus, je peux apprendre la langue qui m’est nécessaire, je sais bien que je ne travaille pas seul dans ma chambre comme l’écrivain, que j’ai besoin des théâtres (subventionnés) et des aides subventionnés, mais je ne peux pas m’inventer adéquat à vos demandes, non, c’est vous qui devez me vouloir, moi, je suis un artiste et c’est comme ça que ça fonctionne, un artiste, ça se désire — en tant qu’artiste —, celui (le prince) ou ceux (la collectivité) qui donnent l’argent le désirent — ou ne le désirent pas. J’ai rencontré Guillaume Vincent l’autre soir qui m'a dit : « Yves-Noël, tu es un concept ». Je ne sais pas trop ce qu’il voulait dire, mais je pense, oui, que je suis à prendre ou à laisser, mais que je suis tout entier ultra performant dans ce que je fais qui est un ensemble. Et cette qualité — cette liberté —, je ne la vendrai pas, jamais, puisqu’elle est le fond de ma richesse. Et c’est ainsi que je la distribue au monde. Je n’ai pas peur, je suis optimiste. Cette liberté est de gauche, et, maintenant, la gauche va disparaître, j’ai essayé d’alerter, en un sens, je me suis appelé Le Dispariteur, voyez. J’ai essayé de dire que c’était le contraire qu’il fallait, car ce qui s’est fait, c’est évidemment « chevaucher sur le lac de Constance », et maintenant, la gauche, elle disparaît et c’est comme ça — car elle a tout faux.
Maintenant, sur le fait que je paye mal les gens : moi, je le dis, je trouve que je paye mal les gens — pas toujours, j’ai quand même payé mille euros net Jonathan Capdevielle et Erik Martin pour la reprise d’une semaine du Dispariteur, par exemple, une semaine à mille euros, c’est correct, ça m’arrive — quand il y a de l’argent — de payer bien, mais dans l’immense majorité des cas, c’est vrai, je présente mes excuses aux interprètes quand je leur parle d’argent (toujours en net) car je trouve que je leur propose trop peu. Mais je dois dire que, quand, moi, je joue pour d’autres, je remarque que je ne suis pas mieux payé du tout ! — et, parfois, je le suis par de grandes maisons, comme cet automne encore, par un grand théâtre de banlieue, je n’ai eu qu’un faible cachet le jour de la représentation. Là, ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’argent, au contraire — où passe-t-il ? A payer les administrateurs ? Très bien. Ce n’est pas mon choix. Je suis un concept.
Sur le fait (puisque ça a été évoqué pendant votre réunion) que dans un théâtre ce se soit « mal passé », oui, il y a bien eu deux ou trois théâtres dans ma carrière où ça s’est très mal passé, où j’ai vécu un enfer (en général, à cause d’un directeur technique qui dit non à tout), sans que la qualité des spectacles qui y ont été créés n’ait dû en souffrir, d’ailleurs, c’est très curieux, ça m’a étonné, mais dans l’immense majorité des cas, ça se passe au contraire très bien, extrêmement bien, ce qui se passe avec les théâtres et les gens avec qui je travaille, je suis certainement l’un de ceux avec qui ça se passe le mieux. Pourquoi ? Parce que ça ne peut pas se passer autrement. Que dans l’amitié. C’est un acte d’amitié, pour moi, le théâtre, ça n’existe pas, sinon. Comment expliquer d’ailleurs que les théâtres me re-programment ? Comment expliquer que les interprètes, les éclairagistes, etc. retravaillent et retravaillent à l’infini avec moi, même en étant (parfois) très mal payés ? Certains, et pas des moindres, Thomas Scimeca, Jonathan Capdevielle, Marlène Saldana ont fait vingt-cinq spectacles avec moi (et continueraient s’ils avaient encore le temps). (Je vous ai rédigé un CV.) Ça ne s’explique que parce que, chez moi, ça se passe très bien ! C’est même la condition exigée pour mon travail : que ça ne passe que par le plaisir. Que dans le plaisir jusqu’au cou, submerger de plaisir. Ne rien faire qui ne soit de cette matière-joie. Pas de tensions que je hais, pas de psychodrames que je hais — et je sais que c’est comme cela que travaillent la majorité des compagnies, surtout sur les grosses productions : dans la tension. Moi, j’ai besoin d’avoir la personne entière. Le spectacle ne se bâtit qu’à partir de la personne entière. Et la personne entière n’est disponible que dans la joie. La tendresse. Pas le stress. Chez moi, ça se passe donc très bien. C’est tout le contraire. Les médisances ne me font pas peur, je me suis assez mis dans la fréquentation de Baudelaire et de Proust pour savoir tout ce que ces génies ont aimantés comme haine. Heureusement, je ne leur arrive pas à la cheville ! à ces chevaliers de la France. Je reçois à l’instant un tweet de Raphaël Glucksmann : « Pour sauver l’Europe de la vague nationaliste, il faudrait d’abord cesser de mettre des gens comme Juncker ou Barroso à sa tête ». C’est ce que je vous propose : mettre des genscomme moi à la tête de l’Europe ! Vous verriez comme ça se passerait mieux. Je ne plaisante qu’à moitié. Je sais qu’on met au pouvoir ceux qui veulent le pouvoir. Moi, je ne veux pas le pouvoir et c’est pour ça qu’il faudrait me le donner. Une citation de Sénèque, allez, d'il y a deux mille ans (loin ou proche, c’est pareil) qui vaut pour tous et pour la nouvelle année : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles qu’on n’ose pas les faire, c’est parce qu’on n’ose pas les faire qu’elles sont difficiles ». Immense pénibilité des dossiers (dans mon cas), mais je vais essayer de vous envoyer celui de la demande d’aide au projet. Dans le cas où il ne serait pas reçu, alors je vous laisserais tranquilles.
Bien à vous,
Yves-Noël
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