Yumna Marwan et Rania Al Rafei (de gauche à droite) dans Fatmeh, d'Ali Chahrour,
Photo Christophe Raynaud de Lage - Festival d'Avignon
Photo Christophe Raynaud de Lage - Festival d'Avignon
Le danseur et chorégraphe libanais vivant à Beyrouth Ali Chahrour, 27 ans, aura été la révélation de la 70° édition du Festival d'Avignon en ce mois de juillet 2016, côté danse, avec les deux premières pièces d'un triptyque. Fatmeh a été créée le 30 janvier 2014 et Leïla se meurt le 19 mars 2015, au Théâtre Al Madina de Beyrouth. La troisième partie, May He Rise and Smell the Fragrance, y a été aussi présentée, du 16 au 19 février 2017. En France la pièce est proposée au Centre de développement chorégraphique (CDC) national - Atelier de Paris Carolyn Carlson pendant le festival June Events le 6 juin ICI.
Qu'une telle merveille d'intelligence et de créativité soit possible relève d'une certaine façon du miracle, compte tenu des conditions dans lesquelles travaillent les artistes au Liban. Le chorégraphe explique :
Nous inviter, dans le cadre d'un focus Moyen-Orient est un engagement politique fort, qui nous aide. Être artiste au Liban est très difficile de nos jours. Nous ne recevons aucune aide financière ou matérielle et nous sommes soumis à un comité de censure chargé de veiller à la teneur de nos écrits, sous l'angle de la politique, de la religion et des bonnes mœurs. Je sais que la situation est encore plus difficile dans de nombreux autres pays du Moyen Orient (Vaucluse Matin, 21 juillet 2016)Le projet artistique est clairement exposé :
J'ai décidé de créer une trilogie sur la mort comme rituel pour traiter le rapport entre la danse, la religion au sein de la société arabe. Lorsque, dans les rituels de la mort, cette relation peut être tellement intense que seul la tristesse, le désespoir peuvent briser tabous et règles (Vaucluse Matin, 16 juillet 2016). J'ai décidé de travailler sur les rituels funéraires, parce qu'ils cristallisent les questions religieuses, politiques et sociales. Le corps se trouve dans une situation extrême. Pendant les funérailles vous pouvez tout vous permettre, corporellement, émotionnellement. Les hommes peuvent sangloter, les femmes enlever ou déchirer leurs voiles, crier, tomber et s'autoriser des mouvements et des attitudes corporelles excessives. Donc la mort est le seul moment où le corps peut s'exprimer. (La Terrasse, juillet 2016)
La mort comme unique espace de liberté. Mais rien de morbide dans la proposition cependant.
Fatmeh est un duo impressionnant que danse deux femmes, Yumna Marwan et Rania Al Rafei, qui sont véritablement libres de déployer leurs puissances d'agir.
Leïla se meurt est de forme plus théâtrale, qui comprend sur le plateau deux musiciens, et Ali Chahrour, ainsi que sa mère, Leïla Chahrour.
Affiche originale, avec Ali Chahrour, de Leila's Death,
traduite en français par Leila se meurt
traduite en français par Leila se meurt
Leïla se meurt est de forme plus théâtrale, qui comprend sur le plateau deux musiciens, et Ali Chahrour, ainsi que sa mère, Leïla Chahrour.
La musique est magnifique. Cependant la surprise vient des paroles des chansons qui sont, heureusement, sous-titrées. Et, en ouverture, on est soufflé par cette violence, qui dévoile un Dieu, tout puissant, qui exige la soumission. Ainsi, par exemple :
Dieu est Grand. Il n'y a pas d'autre divinité que Dieu.Dieu est Grand et immense. Gloire à Dieu. Louanges à Dieu à l'aube et au crépuscule.Il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, nous n'adorons que Lui et nous Lui sommes fidèles malgré la haine des mécréants.Dieu est Grand.Dieu Seul a tenu ses promesses, il a chéri ses soldats, il a rendu victorieux son esclave. il a vaincu les brigades. Seul. Il n'y a pas d'autre divinité que Dieu.
Mais au demeurant, on doit se rappeler que le Dieu de l'Ancien Testament est tout autant violent
Passé le choc, on comprend que se dévoile la structure de la pièce, qui est aussi celle d'une société sinon d'une civilisation : tout en haut, Dieu, instance dominante et répressive, qui se donne comme incontestable. En dessous, la mère. En bas, le fils, ici Ali Chahrour. Ainsi, on se disait que le psychanalyste Sigmund Freud et le philosophe Jacques Derrida, qui a vécu toute son enfance en Algérie, auraient adoré ce travail.
Sans doute la mère d'Ali Chahrour est-elle sympathique, mais un peu envahissante quand même. En surface, tout semble aller bien entre elle et son fils. Mais elle est aussi une femme prise dans des structures sociales de domination. Le psychanalyste Claude Rabant, bien connu des spécialistes, dans un livre paru en 2012, La frénésie des pères, analysait, à partir des textes de Freud sur la question des relations hommes-femmes, la situation difficile sinon impossible de ces dernières dans toute société patriarcale, qui doivent résister à la violence des hommes, prises dans une lutte terrible.
Car, en vérité, ce n'est pas Leïla [qui] se meurt mais bien Ali Chahrour qui tombe, pour se relever devenu ange (sur l'affiche originale c'est bien Ali Chahrour qui est présent et non sa mère). On est donc éloigné du sujet explicitement annoncé de la pièce qui est-serait un portrait d'une femme qui est une pleureuse, intervenant à l'occasion de décès. Cette présentation a sans doute un peu trop enfermé la lecture de la pièce qui est bien plus ample et intéressante qu'il n'est apparu à certains.
Passé le choc, on comprend que se dévoile la structure de la pièce, qui est aussi celle d'une société sinon d'une civilisation : tout en haut, Dieu, instance dominante et répressive, qui se donne comme incontestable. En dessous, la mère. En bas, le fils, ici Ali Chahrour. Ainsi, on se disait que le psychanalyste Sigmund Freud et le philosophe Jacques Derrida, qui a vécu toute son enfance en Algérie, auraient adoré ce travail.
Sans doute la mère d'Ali Chahrour est-elle sympathique, mais un peu envahissante quand même. En surface, tout semble aller bien entre elle et son fils. Mais elle est aussi une femme prise dans des structures sociales de domination. Le psychanalyste Claude Rabant, bien connu des spécialistes, dans un livre paru en 2012, La frénésie des pères, analysait, à partir des textes de Freud sur la question des relations hommes-femmes, la situation difficile sinon impossible de ces dernières dans toute société patriarcale, qui doivent résister à la violence des hommes, prises dans une lutte terrible.
Car, en vérité, ce n'est pas Leïla [qui] se meurt mais bien Ali Chahrour qui tombe, pour se relever devenu ange (sur l'affiche originale c'est bien Ali Chahrour qui est présent et non sa mère). On est donc éloigné du sujet explicitement annoncé de la pièce qui est-serait un portrait d'une femme qui est une pleureuse, intervenant à l'occasion de décès. Cette présentation a sans doute un peu trop enfermé la lecture de la pièce qui est bien plus ample et intéressante qu'il n'est apparu à certains.
Fabien Rivière
Leïla se meurt, d'Ali Chahrour, Cloître des Célestins, Festival d'Avignon, du 21 au 23 juillet 2016. ICI
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