C'est un hasard, mais il fait sacrément bien les choses. Pendant le Festival d'Avignon, côté "Off", le Festival La Belle Scène Saint-Denis s'ouvre par un programme composé de deux pièces chorégraphiques qui abordent de façon diamétralement opposée la même question de l'Autre.
Deux structures phares du spectacle vivant du département de la Seine-Saint-Denis (nord de Paris), le Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France et le Théâtre Gérard Philipe (TGP) de Saint-Denis sont à l'initiative de la manifestation qui a réussi à durablement trouver l'écoute, à la fois des professionnels, qui ne viennent pas dans cette partie de la banlieue le reste de l'année, et du public. Il s'agit de présenter les artistes qui sont soutenus activement dans le cadre de résidences.
Deux structures phares du spectacle vivant du département de la Seine-Saint-Denis (nord de Paris), le Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France et le Théâtre Gérard Philipe (TGP) de Saint-Denis sont à l'initiative de la manifestation qui a réussi à durablement trouver l'écoute, à la fois des professionnels, qui ne viennent pas dans cette partie de la banlieue le reste de l'année, et du public. Il s'agit de présenter les artistes qui sont soutenus activement dans le cadre de résidences.
Mélanie Perrier fait exception en bénéficiant d'un simple accueil studio. Elle propose CARE (Vulnerability Live Score), en français SOINS (Partition Live Vulnérabilité). Elle veut revenir à une figure de la danse, le pas de deux. Sa compagnie se nomme d'ailleurs 2minimum. Dans une interview, elle déclare :
La danse – surtout académique – a montré tout le caractère normatif, très performatif, très genré, que cette figure peut avoir : le danseur masculin porte la ballerine. Je voulais interroger ce que cela induit dans l’imaginaire collectif. D’où cette idée du double duo masculin et féminin. Deux hommes qui se portent renvoient-ils aux mêmes représentations mentales que deux femmes ? Que signifie être porté ?
La feuille de salle explique par ailleurs :
Toucher, accueillir, soutenir, supporter... la figure du porté peut englober bien des façons d’envisager le rapport à l’autre. À travers deux duos simultanés, Mélanie Perrier offre une expérience sensible, visuelle et auditive, d’un dialogue de corps à corps. Acceptant la vulnérabilité tout comme l’ambivalence, chaque geste se nourrit de la relation, qu’il s’agit d’éprouver à l’aune de l’éthique du care revisitée par la chorégraphe. En dehors de la forme, nous voici au cœur de la relation à l’autre. Chaque jour à Avignon, les danseurs et la musicienne live remettront à l’épreuve leur vulnérabilité et leur dialogue, pour creuser de manière inédite le cœur de l’écriture de cette pièce conçue pour plateau.
Une page rajoutée présente son Care Manifesto :
Ainsi, on peut demeurer interloqué devant le déferlement de bons sentiments très théoriques du Manifeste, déclarations d'intentions plus sublimes les unes que les autres. On se demande aussi ce que font les autres chorégraphes, qui passeraient à côté de tout ce savoir.
En imaginant pouvoir faire l'impasse sur sa part d'ombre, la chorégraphe atteint le résultat inverse de celui escompté.
À la théorie succède la pratique avec le solo que signe Mickaël Phelippeau, Juste Heddy, qu'interprète avec talent Heddy Salem.
Le chorégraphe français poursuit un chemin spécifique dans la danse contemporaine. Depuis 2008 chaque création est l'occasion d'une rencontre avec une personne singulière (ou un groupe) : un curé [de Bègles, au sud de Bordeaux] (bi-portrait Jean-Yves, 2008), le cercle de danse traditionnelle bretonne Avel Dro Guissény (bi-portrait Yves C., 2008), quatre danseuses ayant entamé leurs carrières dans les années 80 (Numéro d'objet, 2011), la chanteuse Elli Medeiros (Sueños, 2012), vingt-quatre choristes (Chorus, 2012), l'auteure Célia Houdart (enjoy the silence, 2013), le jeune Ethan âgé de 14 ans connu depuis ses 8 ans (Pour Ethan, 2014), la danseuse Lola Rubio (Llámame Lola, 2015), une lycéenne (Avec Anastasia, 2015), un sonneur de cornemuse (Membre Fantôme, 2016), 11 footballeuses (Footballeuses, 2017), le chanteur et psychiatre Renaud Mascret (Soli, 2017).
Juste Heddy : un homme jeune traverse la scène. Il porte un jogging et un tee-shirt noirs, un sac de sport à l'épaule, écouteurs aux oreilles. Le style vestimentaire est sobre et élégant. Sur le tee-shit, la mention JUST DO IT. Il branche son portable sur un cable. L'espace est alors rempli d'un raï puissant et touchant. C'est Dana dana, de Cheb Ryan et Dima (à écouter ci-dessus). L'homme s'engage alors dans une gestuelle très écrite. Musicalement, il y aura aussi, dans la catégorie chanson française, l'émouvant Allo Maman de L'Algerino, et Mal à la vie de Rohff, ainsi que de la musique électronique, intense et à fleur de peau, celle des deux cousins de The Blaze, Guillaume et Jonathan, avec Territory (clip officiel ci-dessous). Ce sont les choix de l'interprète. La gestuelle emprunte aussi, mais pas seulement, au sport. Heddy Salem a 20 ans. Il a débuté cette activité à 14 ans, pratiquant boxe thaï, kick-boxing, boxe anglaise, free-fight et ju-jitsu.
Il prendra aussi la parole, déroulant avec franchise et sobriété les éléments d'une vie d'un homme d'un milieu populaire du sud de la France, métis. Le passage par l'armée est violent, et injuste. On songe à l'ouvrage Pays de malheur de Younes Amrani et Stéphane Beaud paru en 2004 (Site) où un jeune de cité écrit à un sociologue, qui met à jour, derrière une histoire singulière, des mécanismes plus généraux d'exclusion et de domination. On peut aussi avoir peur, se dire qu'il est délicat d'exposer un agneau devant des hyènes (il y a pas mal de professionnels dans la salle, qui peuvent être très violents), et que le chorégraphe doit protéger son interprète (ce qu'il fait). Le danger est en effet de sortir une personne de son milieu, de l'utiliser un temps et de l'abandonner ensuite. En suivant le sociologue Pierre Bourdieu, on dira que se retrouver dans un milieu culturel nécessite d'en maîtriser les codes. Heddy Salem est un jeune collaborateur du Merlan - Scène nationale de Marseille. Il travaille au service des relations avec les publics .
Ce « n'est qu'une étape de travail » explique avec modestie le chorégraphe. Le projet, à la fois réaliste et poétique, apparaît cependant déjà comme solide et important. Il mûrit tranquillement. Débuté en juin 2016, d'une durée de 30 minutes actuellement, il doit aboutir fin 2018 - début 2019, dans une version plus longue.
Care revendique la douceur face à la brutalitéQue se passe-t-il sur le plateau ? Un tapis de sol d'un blanc virginal, deux danseuses debout et face à face, deux danseurs de même, habillés de la même façon, d'un boxer et d'une chemise d'un blanc tout aussi virginal. On pourrait même ajouter : des interprètes blancs, jeunes, fins, en bonne santé. À la console, sur le côté droit avant de la scène, la « créat[rice] musicale en temps réel » assise devant la table où est posé son ordinateur, habillée de noire. Cruella ? Les mouvements sont lents, il y est en effet question de toucher, mais rien de touchant. Tout est tellement angélique, qu'il est permis de s'interroger. On songe à cette phrase de Pascal : « L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête ». On observe alors ces deux lents duos comme un monstre, d'autant plus monstrueux qu'il n'a pas de continuité physique.
Care expose la vulnérabilité face à la performance
Care brandit l’hospitalité face à l’exclusion
Care dévoile la fragilité de tous
Care investit le Nous avant le Je
Care affirme la puissance de l’avec
Care fléchit la violence du contre
Care est le support et non la prise en charge de l’autre
Care oppose l’interdépendance à l’individualisme
Care n’affiche aucun constat mais déploie une alternative
Care propose d’être le refuge de toutes les vulnérabilités
Care se place entre les genres
Care sort le mouvement de la forme
Care fait se rejoindre danse, musique, lumière
Care révèle la danse comme langue politique
Care offre une expérience sensible plus qu’un spectacle
Care s’impose comme un manifeste éthique dansé
Ainsi, on peut demeurer interloqué devant le déferlement de bons sentiments très théoriques du Manifeste, déclarations d'intentions plus sublimes les unes que les autres. On se demande aussi ce que font les autres chorégraphes, qui passeraient à côté de tout ce savoir.
En imaginant pouvoir faire l'impasse sur sa part d'ombre, la chorégraphe atteint le résultat inverse de celui escompté.
À la théorie succède la pratique avec le solo que signe Mickaël Phelippeau, Juste Heddy, qu'interprète avec talent Heddy Salem.
Le chorégraphe français poursuit un chemin spécifique dans la danse contemporaine. Depuis 2008 chaque création est l'occasion d'une rencontre avec une personne singulière (ou un groupe) : un curé [de Bègles, au sud de Bordeaux] (bi-portrait Jean-Yves, 2008), le cercle de danse traditionnelle bretonne Avel Dro Guissény (bi-portrait Yves C., 2008), quatre danseuses ayant entamé leurs carrières dans les années 80 (Numéro d'objet, 2011), la chanteuse Elli Medeiros (Sueños, 2012), vingt-quatre choristes (Chorus, 2012), l'auteure Célia Houdart (enjoy the silence, 2013), le jeune Ethan âgé de 14 ans connu depuis ses 8 ans (Pour Ethan, 2014), la danseuse Lola Rubio (Llámame Lola, 2015), une lycéenne (Avec Anastasia, 2015), un sonneur de cornemuse (Membre Fantôme, 2016), 11 footballeuses (Footballeuses, 2017), le chanteur et psychiatre Renaud Mascret (Soli, 2017).
Juste Heddy : un homme jeune traverse la scène. Il porte un jogging et un tee-shirt noirs, un sac de sport à l'épaule, écouteurs aux oreilles. Le style vestimentaire est sobre et élégant. Sur le tee-shit, la mention JUST DO IT. Il branche son portable sur un cable. L'espace est alors rempli d'un raï puissant et touchant. C'est Dana dana, de Cheb Ryan et Dima (à écouter ci-dessus). L'homme s'engage alors dans une gestuelle très écrite. Musicalement, il y aura aussi, dans la catégorie chanson française, l'émouvant Allo Maman de L'Algerino, et Mal à la vie de Rohff, ainsi que de la musique électronique, intense et à fleur de peau, celle des deux cousins de The Blaze, Guillaume et Jonathan, avec Territory (clip officiel ci-dessous). Ce sont les choix de l'interprète. La gestuelle emprunte aussi, mais pas seulement, au sport. Heddy Salem a 20 ans. Il a débuté cette activité à 14 ans, pratiquant boxe thaï, kick-boxing, boxe anglaise, free-fight et ju-jitsu.
Il prendra aussi la parole, déroulant avec franchise et sobriété les éléments d'une vie d'un homme d'un milieu populaire du sud de la France, métis. Le passage par l'armée est violent, et injuste. On songe à l'ouvrage Pays de malheur de Younes Amrani et Stéphane Beaud paru en 2004 (Site) où un jeune de cité écrit à un sociologue, qui met à jour, derrière une histoire singulière, des mécanismes plus généraux d'exclusion et de domination. On peut aussi avoir peur, se dire qu'il est délicat d'exposer un agneau devant des hyènes (il y a pas mal de professionnels dans la salle, qui peuvent être très violents), et que le chorégraphe doit protéger son interprète (ce qu'il fait). Le danger est en effet de sortir une personne de son milieu, de l'utiliser un temps et de l'abandonner ensuite. En suivant le sociologue Pierre Bourdieu, on dira que se retrouver dans un milieu culturel nécessite d'en maîtriser les codes. Heddy Salem est un jeune collaborateur du Merlan - Scène nationale de Marseille. Il travaille au service des relations avec les publics .
Ce « n'est qu'une étape de travail » explique avec modestie le chorégraphe. Le projet, à la fois réaliste et poétique, apparaît cependant déjà comme solide et important. Il mûrit tranquillement. Débuté en juin 2016, d'une durée de 30 minutes actuellement, il doit aboutir fin 2018 - début 2019, dans une version plus longue.
Fabien Rivière
CARE (Vulnerability Live Score) de Mélanie Perrier et Juste Heddy, de Mickaël Phelippeau, du 8 au 14 juillet, 10h, La Belle Scène Saint-Denis, à La Parenthèse, Festival d'Avignon Off. Site
Juste Heddy (création en cours) sera accueilli la saison prochaine au TGP Saint-Denis (93), le dimanche 8 octobre 2017 à 15h30. Site
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