Saluts à l'issue de la représentation de May He Rise and Smell the Fragrance d'Ali Chahrour (2° en partant de la gauche), Photo Fabien Rivière |
Le danseur et chorégraphe libanais Ali Chahrour présentait May He Rise and Smell the Fragrance, en français Peut-il se lever et sentir le parfum, la dernière partie de sa trilogie, découverte en juillet dernier pendant le Festival d'Avignon avec Fatmeh et Leïla se meurt (notre article ICI). Le cadre de présentation de l'œuvre était sensiblement différent ce 6 juin : la pierre et le plein air du Cloître des Célestins, bâti au XIV° siècle par l'ordre des Célestins, et ses deux magnifiques platanes, a cédé la place au Théâtre de l'Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes à l'est de Paris, lors du Festival June Events, qui n'est pas sans charme, principalement celui du vaste hall d'entrée où un bar et une librairie sont installés sur un sol rouge vif.
La trilogie porte officiellement, ou consciemment, selon le chorégraphe, sur « la mort comme rituel pour traiter le rapport entre la danse, la religion au sein de la société arabe ». Rien d'assommant ou de mortifère heureusement. Mais le sujet est à vrai dire plus ample. Fatmeh est un duo où se déploie la puissance d'agir de deux femmes (quand elles ne sont pas sous l'atroce emprise de la domination masculine ?). Leïla se meurt active un trio redoutable : Dieu (écrasant), la Mère (toute puissante à un certain niveau, même si elle est prise dans une histoire tragique) et le Fils (qui essaie de se dépatouiller face à ces deux figures cannibales).
Ali Chahrour dans May He Rise and Smell the Fragrance, Photo Zyad Ceblany |
Que pouvait donner la troisième partie ?
On retrouve la Mère, qui, cette fois, a perdu son Fils, et qui s'adresse à l'Absent. Dans Leïla se meurt elle avait perdu son Mari, et d'autres hommes. Elle se lamente et transcende d'une certaine façon la situation à travers la musique, jouée live par Ali Hout et Abed Kobeissy du groupe Two or The Dragon (qui mobilisent des bouzouks et des bendirs, un riq et un daf iranien), et le chant, avec l'épatante Hala Omran, à la voix d'une impressionnante ampleur qui n'est pas sans évoquer Oum Kalthoum. C'est une énergie qui rejoint celle du rock. Mais quand la chanteuse se déchaîne en surplomb derrière son micro seins nus, le Fils est au sol, allongé sur le dos, tourné vers le ciel, dans une sorte de transe. La pièce a été créée à Beyrouth devant un public où se trouvaient notamment des femmes voilées sans que cela ne pose de problèmes, ni dans la salle, ni dans la presse qui a salué la qualité du travail.
Il est remarquable que les hommes demeurent constamment hors-champ. L'inverse aurait été plus probable, sous le régime du patriarcat. Dans la deuxième pièce ils sont même décrits comme morts, de maladie, ou au combat. Ne demeure que le Fils, mais, face à sa Mère, bien qu'officiellement adulte, il reste malgré tout mineur.
On découvre alors les déclarations d'Ali Chahrour à L'Orient Le Jour (ICI) : « J'ai grandi dans un milieu matriarcal, où les femmes sont dotées d'une force de caractère, assument leur indépendance et leur appartenance religieuse sans toutefois sombrer dans le fanatisme. Elles m'ont ouvert les yeux sur le pouvoir des femmes face aux hommes. » Et d'ajouter : « Dans ma famille, les hommes meurent tôt et les femmes leur survivent avec dignité et maîtrise de soi. »
Bref, comment devenir un Homme, chiite en l'occurrence, quand un Dieu et une Mère vous en empêchent ? À vrai dire, Il faudrait se débarrasser de l'un et de l'autre. En France, le Roi a été décapité en 1793 (pouvoir temporel) et une loi a organisé la séparation des églises et de l'État en 1905 (pouvoir spirituel). La troisième pièce réactive les problématiques de la seconde, sans vraiment avancer, même si elle est de très grande qualité. Car quand Ali Chahrour pense parler des Femmes, il ressasse la question de la Mère. Sans doute faut-il aller au bout de quelque chose pour s'en débarrasser. Ou pas.
Fabien Rivière
May He Rise and Smell the Fragrance, d'Ali Chahrour, 6 juin, Festival June Events. Site
Le hall du Théâtre de l'Aquarium avant d'entrer dans la salle de spectacle, Photo Fabien Rivière