Affiche devant le lieu, et rideau juste avant de rentrer dans la salle, Photos Fabien Rivière |
— Lausanne (Suisse), envoyé spécial.
Le titre de la proposition de Tino Sehgal, This Variation, en français Cette variation, est finalement assez drôle. C’est une installation corporelle. Elle a été créée pour la documenta (le d est minuscule) de Kassel (Allemagne) en 2012, énorme manifestation dédiée à l'art contemporain qui se déroule tous les cinq ans, a fait partie de l’extraordinaire "exposition" qui lui a été consacrée au Palais de Tokyo (Paris) d’octobre à décembre 2016, puis s’installe maintenant seule dans la salle de Gym Pierre-Viret, un gymnase, si l’on préfère, lors du Festival de la Cité Lausanne.
Deux femmes, deux ouvreuses ou hôtesses d’accueil, comment faut-il dire ?, nous expliquent la situation, un peu particulière. Puis, nous passons le rideau noir, pour entrer dans un unique espace plongé dans le noir le plus complet. Certain-e-s ne le supportent pas (ils sont certes minoritaires). Ainsi, un garçon d’une dizaine d’année répétait, en boucle, à ses parents : « On n’y voit rien ! ». Il est ressorti en n’ayant rien perçu, sinon compris. Son affirmation est peu contestable sans doute, quoique.
Nous tendons le bras, se guidant en touchant le mur recouvert de tissu, pour avancer, en tâtonnant. Ce n’est pas forcément satisfaisant. Ce n’est certes pas une situation idéale. On doit accepter de perdre le contrôle qu’assure l’oeil, et lâcher prise mentalement. Le spectateur ne peut pas faire le malin. Il n’est pas en surplomb, en situation de force. Il est physiquement mélangé aux performers. On ne les distingue pas nécessairement du public. Il fait bon (le jour suivant, la température était un peu plus élevée, l'atmosphère était moite). On entend des chants. Ça pulse. C’est chaud. C’est doux. C’est beau. Ce pourrait être la bande-son du sous-bois d’une forêt tropicale, luxuriante, avec ses multiples bruits d’animaux, qui se répondent, s’entrecroisent, se chevauchent ou s’ignorent. La vie, quoi. Le temps passe. Et soudain, l’oeil s’adapte. Ce que l’on voit alors est bouleversant. Une révélation. Un choc puissant. Un autre monde. Tino Sehgal n’a pas eu besoin de déployer une technologie hyper sophistiquée, de recherche et développement que mènent des laboratoires militaires, par exemple, avec des budgets faramineux. C'est nous-même qui créons un monde. Ce pourrait être une piscine olympique vide, immense, dans laquelle on marche, tranquillement, doucement. Ou plutôt on nage. Avec une aisance confondante. Comme un mammifère marin en quelque sorte. Nous sommes des mammifères terriens.
Fabien Rivière