Berlin, Août 2017, Photo Fabien Rivière © |
samedi 2 septembre 2017
vendredi 1 septembre 2017
Avec « El Baile », Mathilde Monnier déçoit (Berlin, Tanz im August)
Le plateau de El Baile, avant la représentation, à Berlin, Photo Fabien Rivière |
Nous avons vu la nouvelle création de Mathilde Monnier, El Baile, en français Le Bal, lors du Festival Tanz im August à Berlin (Allemagne) à l'élégant Berliner Festspiele. La précédente création datait d'il y a quatre ans, Qu'est-ce qui nous arrive ?!?, un projet avec des amateurs. Depuis, la danseuse et chorégraphe, présente dans le milieu de la danse contemporaine française depuis trente cinq ans, a été nommée directrice du Centre National de la Danse (CND), à Pantin (France). Expérience redoutable.
Quoiqu'il en soit, une question se pose : où en est, artistiquement, Mathilde Monnier, à qui l'on doit des pièces aussi exceptionnelles que Pudique acide en 1984 et Extasis en 1985 avec son complice d'alors Jean-François Duroure puis, seule, Déroutes (2002), Publique (2004) pour des danseuses et autour de la musique de PJ Harvey, La place du singe (2005) avec l'écrivaine Christine Angot, frère&sœur (2005) créé dans la Cour d’honneur du Palais des Papes pendant le Festival d’Avignon, 2008 vallée (2006) avec le musicien Philippe Katerine, Tempo 76 (2007) sur la figure de l'unisson, Soapéra (2010), dans de la mousse, et Twin paradox (2012) ? La réponse est aussi redoutable.
La note d'intention (française, la pièce est présentée en novembre au Théâtre national de Chaillot, cf. ICI) explique notamment ceci :
À l’origine il y a Le Bal, pièce sans parole créée en 1981 par le metteur en scène Jean-Claude Penchenat et la compagnie du théâtre du Campagnol, devenue par la suite un film d’Ettore Scola. Mathilde Monnier et Alan Pauls, auteur argentin, inventent aujourd’hui un nouveau Bal qui s’ancre en Argentine, dans l’Histoire du pays de 78 à nos jours, plus spécifiquement à Buenos Aires, une ville où la danse a une place significative et qui s’inscrit dans un contexte politique et social fort.
Mais, à vrai dire, la pièce d'origine (extrait à voir ICI) comme le film (bande-annonce ICI) ne sont pas fameux, qui sentent la naphtaline (malgré le fait qu'ils affichent l'influence du Kontakthof de Pina Bausch). Quelle est donc la pulsion qui mène à y trouver un intérêt et à construire un projet, en 2017 ?
PEU DE DANSE
Le plateau est vide, si ce n'est une quinzaine de chaises noires, en deux rangées en face à face qui bordent le centre de la scène à droite et à gauche, et une table blanche, qui font penser à Rosas dans Rosas, pièce de 1983 d'Anne Teresa De Keersmaeker, d'ailleurs reprise et en tournée de septembre à juin 2018 (ICI).
Il y a étonnamment peu de danse, au profit d'un théâtre sans parole pour l'essentiel, si ce n'est quelques cris, gloussements et chants (non sous-titrés). La chorégraphe explique : « Le vocabulaire scénique puise en partie dans une déconstruction des danses urbaines et populaires de l’Argentine (tango, escondido, chacarera, valse tanguera, chamamé, cumbia, cuarteto, samba argentine). » Mais, à tellement « déconstruire », il ne reste pas grand chose à se mettre sous la dent. Déconstruire ne consiste pas à passer à la moulinette et à laisser les choses en plan, mais à, aussi, reconstruire. Dans ce sens, on est bien loin du travail de véritable déconstruction, par exemple, du flamenco, d'un Israel Galván présentant en juillet dernier dans la Cour d'honneur du Palais des Papes pendant le Festival d'Avignon, le puissant Fiesta (ICI). Il n'y aura qu'une scène véritablement de danse, remarquable, qui dure 9 minutes, de la 18° à la 27° minute, qui assume le fait de construire.
RELÂCHÉ
Le projet demeure ainsi beaucoup trop relâché. Mathilde Monnier affirmant ne jouer qu'un rôle modeste, dans un projet qui est pourtant très ambitieux puisqu'il s'agit de retracer cinquante années d'histoire contemporaine de l'Argentine, des années 70 à aujourd'hui, de la dictature sanglante à la "démocratie" actuelle (Le pays est actuellement secoué par la disparition le 1er août du militant Santiago Maldonado, manifestement arrêté par des gendarmes (ICI). Une déclaration est d'ailleurs lue à l'issue de la représentation pour rappeler ces faits et protester de la réception en Allemagne d'un officiel argentin comme si de rien n'était).
Mais revenons à la modestie affichée. Mathilde Monnier déclare :
Moi, je suis une étrangère dans ce projet, cette pièce est leur pièce. Je suis là pour activer quelque chose qui leur appartient. J’amène une trame pour que surgisse leur histoire. J’ai décidé de ne pas montrer de mouvements car je souhaite que toute la matière vienne d’eux. Ensemble, nous avons composé une sorte d’abécédaire à travers lequel nous avons déconstruit toutes les danses traditionnelles. Ce travail nous a permis d’élaborer un vocabulaire commun. Sans trop les dénaturer, en les épurant. Et je pense, qu’ensemble, nous avons sélectionné des éléments chorégraphiques disant quelque chose de l’Argentine d’aujourd’hui.
En fait, on réalise soudain que cette méthode de travail est celle de Pina Bausch. Il n'est alors pas sûr que la modestie affichée soit réelle.
Il est question d'Histoire mais Mathilde Monnier stipule : « Il nous appartient dans cette nouvelle pièce d’aborder l’histoire d’un pays non à partir de la grande Histoire des évènements mais plutôt de mettre en scène ce que l’histoire ne retient pas, ce qu’elle ne montre pas, ce qu’elle oublie ». Le résultat est qu'on ne dispose d'aucune information quant au contexte historique, et rien sur "ce que l'Histoire ne retient pas".
Il aurait fallu parvenir à construire et développer un propos. Ce n'est pas le cas. Par exemple, en ouverture, Martin Gil, que l'on sent être une forte personnalité, bascule le bassin de l'avant à l'arrière et inversement, un certain temps, très sexuel. Puis on passe à autre chose. Un danseur pointe une arme imaginaire en direction d'une danseuse, tire, elle tombe, morte. Puis on passe à autre chose. Un homme habillé en femme, un transsexuel ? (renseignement pris, non), s'avance. Puis on passe à autre chose. La scène finale montre un homme jouant seul au foot, projetant un ballon sur une grille derrière laquelle un danseur en boîte de nuit danse. On réalise alors qu'on ne saura rien des Argentins. Une scène entière montre un cour de danse où le prof vire un à un les présumés mauvais élèves (à Berlin des gens rient). Pour quel sens et quel intérêt ?
Soudain, les interprètes, alignés, sont au bord du plateau, dirigés vers le public. On songe à Pina Bausch. La consigne qui leur a été donnée est claire : engagez un strip-tease. Pourquoi pas ? Tout est dans la façon de le faire. Ici, sentiment de gêne.
À l'issue de la représentation, une rencontre était organisée entre la performeuse espagnole basée à Genève (Suisse) La Ribot et Mathilde Monnier. La première dit d'entrée de la seconde, ceci, en français : « C'est une femme d'État ! ». Mais de quel État ? La première grève de l'histoire du CND a eu lieu sous la direction de Mathilde Monnier le 4 octobre dernier (ICI et ICI). Les syndicats expliquent qu'un quart du personnel a quitté le CND depuis sa venue en janvier 2014. Ils contestent les méthodes de la nouvelle équipe de direction arrivée avec la chorégraphe. Des travaux de restructuration du rez-de-chaussée du bâtiment pour 1,5 millions d'euros, et dont l'utilité est contestée (ICI), ont été réalisés. Les syndicats auraient préféré qu'une partie de cette somme serve à revaloriser les salaires. Les conditions de la nomination à un poste de direction ont été contestées (ICI). Il a aussi été fait appel à une boîte privée connue pour sa brutalité pour s'occuper des relations avec la presse. Notre premier contact avec la nouvelle équipe a été mouvementé (ICI).
De fait, on peut constater que la chorégraphe a installé autour d'elle une cour comme au temps de Louis XIV. Le monde s'organise ainsi entre "Amis" et Ennemis (ceux qui émettent une critique ou réserve ou pensent différemment sont ipso facto exclus). Bref, si le bilan de la direction Monnier du point de vue artistique est plutôt bon, il est humainement mauvais. Il serait d'ailleurs judicieux que la directrice s'interroge sur cette violence, sur sa violence. Et investisse ces questionnements dans un spectacle ? Mais peut-être ou sans doute est-il trop tard.
De fait, on peut constater que la chorégraphe a installé autour d'elle une cour comme au temps de Louis XIV. Le monde s'organise ainsi entre "Amis" et Ennemis (ceux qui émettent une critique ou réserve ou pensent différemment sont ipso facto exclus). Bref, si le bilan de la direction Monnier du point de vue artistique est plutôt bon, il est humainement mauvais. Il serait d'ailleurs judicieux que la directrice s'interroge sur cette violence, sur sa violence. Et investisse ces questionnements dans un spectacle ? Mais peut-être ou sans doute est-il trop tard.
La pièce est signée aussi d'un écrivain, Alan Pauls, argentin. Lors de cette même rencontre Mathilde Monnier expliquait avec satisfaction travailler avec une dramaturge, ce que personne ne fait dans le milieu de la danse en France. Son rôle est notamment de la « documenter ». Sauf que ce travail donne le sentiment d'être insuffisamment travaillé. Il faut dire que la durée des répétitions a été fort brève : un mois et demi. Enfin, elle a indiqué qu'elle se situait dans le champ de la performance, avec l'idée sous-jacente, que c'est très valorisant. En réalité, El Baile est un gentil spectacle inoffensif dont une professionnelle allemande importante nous confiait à raison qu'il n'est pas possible d'imaginer qu'elle en est l'auteure.
Fabien Rivière
El Baile, de Mathilde Monnier et Alan Pauls, Haus der Berliner Festspiele [Maison du Festival de Berlin], Festival Tanz im August, Berlin, Allemagne, 29 et 30 août 2017. ICI