(La) Horde est un collectif qui réunit Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel. Il a obtenu le deuxième prix du concours Danse élargie en juin 2016, organisé par le Musée de la danse à Rennes que dirige Boris Charmatz et le Théâtre de la Ville à Paris dans ses murs. Entre hier et aujourd'hui, la proposition, dans laquelle ils ne dansent pas, To Da Bone, est passée de 10 à 48 minutes.
Ce qui frappe d'emblée, c'est que la violence s'est accentuée. Un homme entre puis se positionne au milieu du plateau, face au public, immobile, le visage fermé, très dur, muet, habillé en jean, baskets et veste de sport. On dirait un vigile, un policier, un militaire, ou un membre d'une milice. Un par un, dix hommes (et une femme) vont faire de même. Puis, ils vont danser groupés le jumpstyle (jump signifie sauter en anglais). Ou plutôt, la forme la plus violente de cette danse qui peut être bon enfant ou suggérer la désolation. Elle se danse en demeurant sur place, debout, en envoyant les jambes à l'avant et à l'arrière, balançant les bras de gauche à droite et inversement.
Arthur Harel, Marine Brutti et Jonathan Debrouwer, Capture d'écran Espaces Magnétiques |
C'est martial, « viril », ou du moins une définition très radicalisée et caricaturale de « la virilité ». Le groupe, ou plutôt le commando, va se lancer dans un jumpstyle très mécanique, où chacun fait le même mouvement, puis pivote d'un quart de tour, et recommence, et ainsi de suite. Ils vont se disperser dans l'espace. Étonnamment, cette séquence, qui joue avec des sous-ensembles, n'est pas vraiment développée. Le site internet du théâtre parle de « gigue déjantée. » Mais où est le lâcher prise ?
Un homme s'adresse au public, ou plutôt crie, sinon hurle, dans une langue étrangère. Du russe, semble-t-il. Puis un autre, en allemand. Le ton est très dur. Pour ne rien arranger, ses propos ne sont même pas traduits. Un homme parle en français. On ne comprend pas tout. Il s'agit d'un cours pas très passionnant d'histoire du jumpstyle.
Saluts au Théâtre de la Ville - Les Abbesses, To Da Bone, (La) Horde, Photo Fabien Rivière |
Il y a bien quelques récits autobiographiques, quelques bribes à vrai dire, mais qui sont d'une grande banalité. Une seule chose attire l'attention, quand un danseur parle de sa « frustration ». Il a alors 14 ans. Il aurait fallu creuser dans cette direction. En leur remettant le deuxième prix du jury lors de Danse élargie, Vincent Macaigne expliquait : « Ce qu'on a récompensé est vraiment très beau, parce que ça nous a parlé d'une forme de colère qu'il peut y avoir en Europe. Il y avait une sorte d'énergie à nos yeux tribale, politique et contemporaine. On a aussi voulu féliciter le travail de recherche de danse. » Mais ce qui frappe c'est l'incapacité à réfléchir la dimension sociale et politique de cette danse ou de ces êtres, dont on ne saura absolument rien de leur humanité. Ils seraient vides ? On est à l'opposé des écrits du jeune Édouard Louis, dont le récit Qui a tué mon père est paru récemment. (La) Horde n'a absolument pas avancé dans sa réflexion. On peut même se dire qu'il a régressé. Quand Édouard Louis réfléchit sur l'histoire de la violence (c'est même le titre de son deuxième livre), (La) Horde se contente d'affirmer qu'il est fasciné par la violence. C'est terrible. Sans doute peut-on leur faire crédit, contrairement à beaucoup, de s'intéresser au monde tel qu'il est. Encore faut-il proposer un regard. Leur autre atout serait de pouvoir attirer un public « jeune », permettant ainsi de rajeunir l'âge moyen du spectateur. Mais pour quoi faire ? Car Genet, Pasolini et Fassbinder ne se contentaient pas d'exposer la violence avec complaisance.
Fabien Rivière
(La)Horde, To Da Bone, Théâtre de la Ville - Les Abbesses (Paris), samedi 19 mai 2018. ICI
NOTRE TEXTE PARU LORS DU CONCOURS DANSE ÉLARGIE EN 2016 ICI
(La)Horde est un collectif créé par Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel en 2013 à Paris. Il s'intéresse au jumpstyle. C'est un genre de musique électronique techno hardcore qui apparaît à la fin des années 90 aux Pays-Bas et en Belgique, qui associe une forme de danse pratiquée lors de fêtes underground. Le mouvement va se diffuser mondialement. Du côté d'internet on trouve de courtes vidéos d'une personne ou d'un groupe dansant dans l'espace privé ou public.
L'intérêt pour cette danse se développe en trois temps : la création de Avant les gens mourraient pour l'Ecole de Danse Contemporaine de Montréal (EDCM) en 2014, le court métrage de 16 minutes Novaciéries ICI présenté dans les festivals (de cinéma, mais pas seulement) en 2015, et aujourd'hui To Da Bone en 2016.
Le titre de la pièce, To Da Bone — en français, Jusqu'à l'os — associe de l'argot anglais, To Da (pour To The), à de l'anglais, la norme linguistique et son contraire. Les interprètes se connaissent depuis longtemps, mais ne s'étaient jamais rencontrés physiquement. Ils sont dix, huit jeunes hommes et deux jeunes femmes, qui ont adopté le look normcore : baskets, pantalon plutôt jean 501 (pas trop serré et pas trop large) et une veste de sport (ici, colorée). On lit sur internet qu'il s'agit d'« une esthétique de la normalité » et de « non-style ». (La)Horde aurait souhaité associer des performers afro-états-uniens et indonésiens, mais cela n'a pas été possible, et nous voici avec dix Blancs. Ils ont conscience que c'est problématique.
Le groupe, compact, est en mouvement dans une mécanique sans fin, d'où un individu sort un temps, pour revenir dans la meute tout aussi mécaniquement. C'est réussi, un peu trop « viril » au sens où tout cela porte une agressivité certaine. Cette discipline peut faire penser à un entrainement de militaires ou de néo-nazis. À la fin on se dit qu'après la représentation ils vont tous aller « casser du pédé. » L'esthétique jumpstyle est en fait plurielle : sur internet, les vidéos sont bon enfant, souriantes et détendues, le film Novaciéries suggère la désolation, To Da Bone la potentialité d'une confrontation future violente. En leur remettant le deuxième prix du jury, Vincent Macaigne expliquait : « Ce qu'on a récompensé est vraiment très beau, parce que ça nous a parlé d'une forme de colère qu'il peut y avoir en Europe. Il y avait une sorte d'énergie à nos yeux tribale, politique et contemporaine. On a aussi voulu féliciter le travail de recherche de danse. » Mais on peut percevoir cette énergie comme régressive, et dangereuse. Il existe un danger à trop l'esthétiser. La montrer est une chose, expliquer les conditions socio-historiques qui rendent possibles son apparition en est une autre, plus difficile, plus ambitieuse et plus nécessaire. Au cinéma on dirait que tout cela est un problème de cadrage : le spectre est large entre la dénonciation et l'accord, en passant par le constat qui se veut neutre. (La)Horde défend le droit à un « regard non autoritaire ». Mais il nous semble que la réflexion sur le cadrage doit se poursuivre, en dissipant l'ambiguité.
L'intérêt pour cette danse se développe en trois temps : la création de Avant les gens mourraient pour l'Ecole de Danse Contemporaine de Montréal (EDCM) en 2014, le court métrage de 16 minutes Novaciéries ICI présenté dans les festivals (de cinéma, mais pas seulement) en 2015, et aujourd'hui To Da Bone en 2016.
Le titre de la pièce, To Da Bone — en français, Jusqu'à l'os — associe de l'argot anglais, To Da (pour To The), à de l'anglais, la norme linguistique et son contraire. Les interprètes se connaissent depuis longtemps, mais ne s'étaient jamais rencontrés physiquement. Ils sont dix, huit jeunes hommes et deux jeunes femmes, qui ont adopté le look normcore : baskets, pantalon plutôt jean 501 (pas trop serré et pas trop large) et une veste de sport (ici, colorée). On lit sur internet qu'il s'agit d'« une esthétique de la normalité » et de « non-style ». (La)Horde aurait souhaité associer des performers afro-états-uniens et indonésiens, mais cela n'a pas été possible, et nous voici avec dix Blancs. Ils ont conscience que c'est problématique.
Le groupe, compact, est en mouvement dans une mécanique sans fin, d'où un individu sort un temps, pour revenir dans la meute tout aussi mécaniquement. C'est réussi, un peu trop « viril » au sens où tout cela porte une agressivité certaine. Cette discipline peut faire penser à un entrainement de militaires ou de néo-nazis. À la fin on se dit qu'après la représentation ils vont tous aller « casser du pédé. » L'esthétique jumpstyle est en fait plurielle : sur internet, les vidéos sont bon enfant, souriantes et détendues, le film Novaciéries suggère la désolation, To Da Bone la potentialité d'une confrontation future violente. En leur remettant le deuxième prix du jury, Vincent Macaigne expliquait : « Ce qu'on a récompensé est vraiment très beau, parce que ça nous a parlé d'une forme de colère qu'il peut y avoir en Europe. Il y avait une sorte d'énergie à nos yeux tribale, politique et contemporaine. On a aussi voulu féliciter le travail de recherche de danse. » Mais on peut percevoir cette énergie comme régressive, et dangereuse. Il existe un danger à trop l'esthétiser. La montrer est une chose, expliquer les conditions socio-historiques qui rendent possibles son apparition en est une autre, plus difficile, plus ambitieuse et plus nécessaire. Au cinéma on dirait que tout cela est un problème de cadrage : le spectre est large entre la dénonciation et l'accord, en passant par le constat qui se veut neutre. (La)Horde défend le droit à un « regard non autoritaire ». Mais il nous semble que la réflexion sur le cadrage doit se poursuivre, en dissipant l'ambiguité.
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