lundi 14 mai 2018

Vieillir avec Decouflé ? («Nouvelles pièces courtes»)

Visuel de Nouvelles pièces courtes à Chaillot, Photo Charles Fréger 

Officiellement, tout va bien. La compagnie de Philippe Decouflé, DCA, est une compagnie indépendante, soutenue depuis 2016 par le Ministère de la Culture et de la Communication en qualité de « compagnie à rayonnement national et international ». Il est « compagnie et artiste associés » au Théâtre national de la Danse Chaillot (Paris) depuis septembre dernier, jusqu'en 2020.

Il a livré il y a un an sa nouvelle création, Nouvelles pièces courtes, le 16 mai 2017 à La Coursive, scène nationale de la Rochelle. Il est passé par Quimper au Théâtre de Cornouaille le 14 novembre, qui le présente ainsi : « Sous les auspices conjoints de Merce Cunningham, Martha Graham et du rock’n’roll, entre autres, Philippe Decouflé rassemble plusieurs formes courtes. Un puzzle 100% ludique, qui renoue avec la fantaisie originelle du chorégraphe. » (nous publions à la fin de l'article le texte complet) Dans la capitale, elle a été proposée à partir du 29 décembre dans la salle Jean Vilar de Chaillot qui peut accueillir 1.217 spectateurs, en deux séries, de 13 et 17 représentations (pour un total de 36.510 personnes). La tournée se clôt en juillet prochain au Japon. Le dossier de presse parisien évoque « Sa danse malicieuse et inventive y fait depuis toujours merveille et revient en fanfare cet hiver et au printemps ! ». Dans la feuille de salle, pour expliquer sinon justifier que la proposition est constituée de pièces courtes et non d'une seule œuvre, il associe son nom à de très grandes figures de la danse : « Beaucoup de spectacles de danse moderne sont construits de la sorte : de Georges Balanchine à Merce Cunningham en passant par Martha Graham et Alwin Nikolaïs, les chorégraphes américains qui m’ont influencé. » Il ajoute aussi : « Il y a un truc, des vibrations dans la salle, c'est clair, c'est fort, c'est excitant ! » 


On allait voir ce qu'on allait voir. En cette dernière représentation parisienne, la 30° dans le lieu. Las, l'écriture de la danse s'est appauvrie, et a perdu sa poésie. Comme épuisée, lessivée. On se surprend même à se dire que ces corps sont hantés par la présence de la vieillesse et de la mort. À mi-parcours, une voix off d'homme déclare que c'est le printemps, « Et moi, je  continue de vieillir ». Personne ne semble l'avoir noté. On retrouve l'énergie du bonhomme une seule fois, quelques minutes, dans la 4° séquence, où les danseurs ne portent que slips et genouillères noirs. La vidéo n'apporte pas grand chose, qui se contente le plus souvent de projeter la danse live en fond de plateau, en plus grand, dans une qualité d'image plutôt faible. La scène qui se déroule dans le hall d'un aéroport, avant d'embarquer pour un pays étranger, voudrait avoir la légèreté et l'insouciance d'un Jacques Demy dans Les Demoiselles de Rochefort, mais c'est plutôt la grisaille qui saute aux yeux. Arrivé au Japon on a droit par exemple à la déclamation d'une liste d'achats, sans grand intérêt. 



Au moment des saluts de Nouvelles pièces courtes, Photo DR 

Qu'est-il arrivé à Philippe Decouflé ? Il semble travaillé par des questions existentielles profondes, qui sont en contradiction avec son cahier des charges d'amuseur public (quoique). Dans la feuille de salle, le chorégraphe évoque une scène où il a choisi Vivaldi « en hommage à ma mère disparue ». D'autre part, entre la date de création et cette dernière parisienne, il a perdu deux interprètes proches. Un danseur de la pièce, l'Américain Raphaël Cruz, circassien de 31 ans, rencontré en 2011 quand il travaillait pour Iris pour le Cirque du Soleil, a été retrouvé mort dans sa chambre le 26 janvier dernier. Le Français Christophe Salengro, compagnon de route de longue date, est décédé le 30 mars à 64 ans. 

Fabien Rivière
Texte de présentation de Nouvelles pièces courtes par le Théâtre de Cornouaille : 
Sous les auspices conjoints de Merce Cunningham, Martha Graham et du rock’n’roll, entre autres, Philippe Decouflé rassemble plusieurs formes courtes. Un puzzle 100% ludique, qui renoue avec la fantaisie originelle du chorégraphe.

Après un entracte américain le temps d’une production à Broadway, le plus fantaisiste des chorégraphes français revient aux sources de son inspiration et de sa danse. Infiniment savoureux, le résultat évoque ces portions de taille modeste mais de saveur intense, qui concentrent en une bouchée tous les plaisirs gustatifs. Un pas de deux de danse pure qui s’achève en acrobaties loufoques ; un piano qui valse ; un duo d’acrobates tournoyant dans les airs ou encore cinq lutins en costumes bariolés virevoltant sur la musique de Vivaldi : il suffit de quelques minutes devant ces Nouvelles pièces courtes pour retrouver l’émerveillement joyeux ressenti, il y a vingt-cinq ans déjà, devant la soirée d’ouverture des J.O. d’Albertville dont Philippe Decouflé fut le grand ordonnateur.

Ce qui relient ces saynètes et ces tableaux, ce sont la créativité de leur auteur et le talent de leurs interprètes. Dans ce kaléidoscope de gestes parfaits, de sons, d’émotions et de couleurs, il n’hésite pas à jouer avec tous les artifices de la scène pour enchanter les yeux. « Le théâtre est un jouet avec lequel j’aime m’amuser », avoue-t-il. Ça tombe bien, nous aussi !

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