Le prix des places pour un spectacle de danse à l'Opéra de Paris étant de plus en plus élevé malgré certains efforts, et en absence de tarifs sociaux contrairement au Théâtre national de la danse de Chaillot, il revient à Arte la lourde responsabilité de tenter de démocratiser cet art ; et incidemment de participer à la constitution d'une mémoire d'une discipline qui se veut éphémère
On peut ainsi profiter en cette fin d'année du programme de qualité donné sur le plateau de l'Opéra Garnier en mai et juin dernier : Quatre chorégraphes d'aujourd'hui à l'Opéra de Paris : Thierrée / Shechter / Pérez / Pite.
Le Suisse James Thierrée, 43 ans, est metteur en scène et acteur. Avec Frôlons, une création pour l'Opéra, il investit les espaces publics, proposant des créatures animales (par exemple une salamandre et un tamanoir) ou inventées et quelques personnages, qui errent plutôt tranquillement. Les interprètes portent de somptueux costumes d'or, de ténèbres et d'algues. La proposition, plus atmosphérique que chorégraphique, rejoint finalement la salle. Le tout est filmé à fleur de peau.
The Art of Not Looking Back, de l'Israélien installé à Londres Hofesh Shechter, 43 ans, a été créé pour sa compagnie en 2009 (il a alors 34 ans), mais semble très récent. Sur le plateau neuf jeunes femmes incarnent les relations tendues du chorégraphe avec sa mère, mêlant sensations crues et très grande élégance gestuelle et formelle. Il est dommage que la voix off, dans cette œuvre forte, ne soit pas traduite de l'anglais en français.
C'est une création que propose l'Espagnol vivant aux Pays-Bas Iván Pérez, 35 ans. Dix hommes sur le plateau pour The Male Dancer. Sans doute le chorégraphe ne donne pas le sentiment d'avoir lu les auteurs qui traitent de la question du genre. Il propose cependant un moment de douceur elle aussi plus atmosphérique que chorégraphique. Un nouveau Mort à Venise, si l'on veut Les interprètes sont des gravures de mode, les costumes sont très beaux. C'est peut-être un peu trop beau, — on aimerait qu'on nous propose d'autres figures d'hommes que des mannequins, — mais le chorégraphe s'en sort plutôt bien. Mais si il revient, il devra creuser plus profondément.
Enfin, la Canadienne Crystal Pite, 48 ans, présente de nouveau son "succès" créé ici-même il y a deux ans, The Season's Canon, pour 54 interprètes. Tout le monde est en pantalon militaire vert bouteille, et torse nu, les femmes portant un très discret justaucorps couleur chair qui masque en partie la poitrine. Elles sont virilisées. Le plus souvent c'est une masse inquiétante qui se déploie, qui s'étire de différentes façons. Est-ce à dire qu'est célébré une certaine idée régressive de l'armée, où l'individu ne peut que se dissoudre dans le groupe et se soumettre ? Dans les quelques duos, c'est l'homme qui porte la femme.
Fabien Rivière
— Diffusé sur Arte le Mardi 1er janvier 2019 à 23h35. www.arte.tv/fr/
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