lundi 19 août 2019

Rire jaune avec Latifa Laâbissi ? (« White Dog »)

White Dog, de Latifa Laâbissi, Photo Nadia Lauro


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Que veut nous dire la danseuse et chorégraphe française Latifa Laâbissi avec sa nouvelle création, White Dog, en français Chien Blancprésentée lors du festival berlinois Tanz Im August ? Difficile à dire, sinon impossible. Dans un premier temps, on s'en tiendra à l'œuvre seule, dans un second, on se tournera vers le programme de salle et la présentation de la pièce sur le site internet de la compagnie.

Sur le plateau, entre pénombre et lumière, quatre interprètes sont assis par terre en cercle autour d'un tas d'épaisses cordes blanches plongées dans une intense lumière jaune du plus bel effet. Ils sont à droite du plateau à mi-chemin du fond et du bord, dans une très belle scénographie de Nadia Lauro, réalisée à partir de ce même cordage, qui figure une forêt, entre épure et foisonnement, entre vieux troncs verticaux, et jeunes et fines lianes torsadées.

Ces quatre humains suggèrent un mélange entre une tribu, un jardin d'enfants et de la BD. Le rythme est  lent un temps, puis tous vont s'agiter. Mais ils ne vont jamais quitter un rictus qui dévoile une solide dentition en or. Il ne s'agit pas de "bons sauvages" (selon l'expression de la période coloniale), mais bien de "sauvages" (selon une certaine terminologie d'hier et d'aujourd'hui). On se demande alors, si il ne s'agit pas (ayant jeté un coup d'oeil au programme de salle) de singer le regard raciste, d'en ricaner, de se vautrer dedans. Mais rien ne va vraiment évoluer, et au bout d'une heure, on reste sur sa fin. La lecture de la feuille de salle puis une visite du site de la compagnie (ci-dessous) expose l'ambition du projet : 
Pièce pour 4 interprètes, White Dog est une tentative de défaire le dressage de nos regards et de nos ressentiments. Contournant la violence et le bruit médiatique des débats, White Dog rend hommage à la stratégie du marronnage, pour déjouer le piège de nos diverses attentes. Convoquant les motifs chers à Latifa Laâbissi (le camouflage, l’ingestion, la figure toxique), la méthode de White Dog sera celle, puissante, de la fuite et de la fugue comme forme de lutte poétique. Un pas de côté, un mouvement de recul, une esquive ou encore une torsion pour entrer le temps d’une ronde, dans un lore sans folk à 4 corps, dans une polyphonie de figures composites et entrelacées, afin de passer les frontières et d’éviter les ornières de nos assignations. Il s’agit de se construire, non pas contre mais avec l’autre, ou tout contre lui, car c’est véritablement de partage et d’hybridation qu’il est question dans cette mêlée de corps. Se saisir de la vitalité minoritaire, pour l’extraire du silence tout autant que de l’affrontement binaire polémique, par l’« entrée en clandestinité d’une communauté d’indociles » et faire émerger des « communautés lianées ». Dans White Dog, il n’est plus tant question de nous mettre face à nos propres clichés que de dés-identifier et de dés-assigner les rôles. Cette stratégie de la fuite et du lianage induit une esthétique de la forêt et du tissage dans tout leur potentiel sémantique, comme un « ensemble de lignes et éléments qui recouvrent l’homme d’un treillis végétal du maquis pour convoquer la résistance ». La scénographie de Nadia Lauro intervient comme une activation possible, une traduction plastique et tactile du lien, de la liane, du réseau interlope qui se joue des codes, comme du devoir ou du narcissisme de la reconnaissance. 
"En ces temps sombres, où prolifèrent les dispositifs de contrôle, les résistances se doivent d’être furtives, ponctuelles, fractales — tout sauf frontales" - Dénètem Touam Bona [Anthropologue franco-centrafricain, il est professeur de philosophie]
Face à l'état du monde, faut-il faire un pas de côté, comme l'affirme la chorégraphe ? Pourquoi pas, mais pour combien de temps, et surtout pour quoi faire ? Rien d'indocile ici, ni de très dangereux pour le capitalisme actionnarial, les partis fascistes et le complexe militaro-industriel. Et s'opposer aux résistances frontales laisse perplexe.  

Très vite, on se disait ceci : plutôt que de proposer la forme d'une tribu, de faire tribu en quelque sorte, il aurait fallu faire société. Plutôt que de mal jouer la régression, mais très bien le repli dans l'entre-soi, la fermeture, il aurait fallu accepter sur le plateau la pluralité d'individus différents les uns des autres qui composent une société. Formulé autrement : plutôt que d'une virée à caractère ethnologique, c'est d'une solide analyse historique et sociologique dont on a besoin. 
Fabien Rivière 
—  White Dog, de Latifa Laâbissi, Tanz im August, du 15 au 17 août 2019. Site — Calendrier futur (à venir) 

Saluts, Photo Fabien Rivière 

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