samedi 30 septembre 2023

Katerina Andreou en chantier («Mourn Baby Mourn»)

Vue d'une partie de la scénographie de Mourn Baby Mourn de Katerina Andreou
à l'issue de la représentation, Photo Fabien Rivière 

Comment se nomme la nouvelle création de la grecque installée en France Katerina Andreou ? Mourn Baby Mourn, en français Deuil Bébé Deuil, et elle était visible au Centre Pompidou à Paris. Le plateau ? Un sol noir, des parpaings en son centre en vrac, et des tubes lumineux blancs surtout et certains oranges, posés au sol en bord de scène, qui cadrent l'espace dans un rectangle. L'action ? Un solo qu'elle interprète.

Elle entre en scène et va se saisir des parpaings l'un après l'autre, comme pour poursuivre la construction d'un mur. Si l'on songe à la pièce précédente, le duo Zeppelin Bend (notre article Résister avec Katerina Andreou ?), on retrouve l'usage de matériaux bruts, alors des pneus, des cordes et des formes ressemblant à des pylônes, posant déjà la question du genre, puisque plutôt mobilisés par et associés à l'homme. 

On peut y voir aussi (surtout ?) la volonté consciente ou pas non pas de construire une fiction, mais de s'affronter courageusement au réel, tel qu'il est. On peut citer alors le psychanalyste Jacques Lacan qui déclarait : « Le réel, c’est quand on se cogne » (synthèse de la citation originelle : « (...) quand on se cogne, le réel, c’est l’impossible à pénétrer »). D'un côté le mur dans sa matérialité et son objectivité, de l'autre les pensées subjectives d'une femme qui sont projetées sur lui en lettres majuscules blanches, et qui témoignent d'une certaine perplexité.   

C'est un chantier. Il le restera. Ce n'est vraiment pas grave. D'un format qui en plus ne colle pas aux exigences du marché de la danse, puisqu'il dure 40 minutes, et non une heure. Essayer de construire, ok, mais quoi au juste (et, question subsidiaire, avec qui ?) ? Elle va lâcher l'affaire (un temps ?) et partir dans l'espace terrestre, puis va se hisser en haut du mur, s'y asseoir, et se retrouver projetée dans l'espace-temps un temps, sans qu'on sache si c'est un jeu vidéo ou une conquête spatiale ici ou ailleurs, une réalité, une vision, un fantasme, un rêve. Peu importe. 

Pour quel futur ? Comment faire ? L'artiste n'a pas de réponse. Même si le chantier est l'endroit où s'expérimente normalement les méthodes, les matériaux, et les façons de les coordonner. 

La dimension politique de la proposition peut échapper. La chorégraphe déclare cependant dans le programme de salle : « Dans les années 1990, en tant qu’enfant puis adolescente, je pense qu’il y avait un espoir. C’est aussi romantique que ça. En Grèce, il y avait même eu un boom d’espoir, avec l’adhésion à l’Union Européenne, les premières chaînes de télévisions privées, etc. Nous sortions de la dictature et allions vers l’Union Européenne, sans trop savoir ce qu’il y avait entre les deux. Le gouvernement socialiste avait comme logo un soleil qui se lève. Il y avait une promesse de modernisation et de changement, d’ouverture et d’un passage – si je peux me permettre – de la périphérie au centre, de l’Est à l’Ouest… L’idée du progrès était vague et plus elle se concrétisait plus elle perdait en justesse et en inclusivité. Très vite, cette bulle a explosé et elle était vide. Dès 2008, avant même que la crise économique n’éclate, le manque de capacité à espérer ou même à se projeter était évident. » Et : « Ce qui me motive, ce n’est pas le progrès ni une promesse mais bien l’inverse: la détresse et le fait qu’il n’y ait rien. » Enfin : « (...) je tourne en boucle, c’est ma manière de danser. »  N'est-ce pas le synonyme de tourner en rond ? Une conscience de la gravité de la situation, mais pas vraiment d'outils pour penser le monde, ni même d'engagement dans le réel. D'où la figure du mur en parpaings. Il existe pourtant des gens qui essaient de penser la situation, s'engagent et agissent. Les sciences humaines fournissent des ressources. Bref, n'est-ce pas l'autre mot de dépolitisation qui s'exprime ? Et n'est-ce pas une situation partagée par beaucoup d'artistes de la danse contemporaine ? Que faire, disait Lénine ? En effet, que faire ?   
Fabien Rivière
Mourn Baby Mourn, de Katerina Andeou, Centre Pompidou (Paris), 27 - 30 septembre. En savoir +  

PS. Le Centre Pompidou ne doit pas oublier qu'il est un lieu international. Ainsi, en sortant de la représentation j'ai discuté avec un couple de jeunes suisses allemands sympathiques de Bâle ne comprenant pas le français (mais l'anglais), et donc doublement perplexes ou perdus. Par hasard juste avant j'avais trouvé le texte de la traduction anglaise du spectacle, abandonné quelque part, que je leur ai communiqué. De quoi les satisfaire. Bref, le sous-titrage s'impose. 

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