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On connaît peu en France le danseur et chorégraphe iranien Hooman Sharifi, à la vie assez étonnante. Né en Iran en 1974, il arrive en Suède à l'âge de 14 ans en tant que mineur isolé. Son intérêt pour la danse le mène dans un premier temps à la danse hip-hop et au street-jazz, puis à la danse classique et à la danse moderne. Il fonde sa compagnie en l'an 2000, et dirige la compagnie nationale norvégienne Carte blanche de 2014 à 2018.
Il présente au Cent-Quatre Paris Sacrificing While Lost in Salted Earth, en français Se sacrifier en se perdant dans la terre salée, créée lors du dernier festival Montpellier Danse en juin 2022. La feuille de salle donne une piste de lecture très explicite, trop peut-être, au cinéma on dirait sans doute qu'elle spoile l'intrigue. On veut probablement aider le spectateur. Mais faut-il l'aider ? Et si oui, comment ? Vaste débat, si l'on veut. La piste donnée sinon imposée, Le Sacre du printemps, musique Igor Stravinsky, chorégraphie originelle de Vaslav Nijinski et compagnie Les Ballets russes de Serge de Diaghilev est fameuse. On nous parle aussi de sacrifice. Peut-être. On ne sait pas.
D'un autre côté, si le chorégraphe a fixé au musicien Arash Moradi une direction de travail très contraignante, puisqu'il devait s'inspirer grandement d'une partition pour orchestre symphonique pour plus de cent musiciens, on le découvre sur scène assis tranquillement jouant sa création seul, accompagné d'un tambûr, instrument à cordes, dans une rythmique assez différente, méconnaissable pour dire vrai, sauf peut-être à être musicologue. Tant mieux finalement ? Peut-on dire qu'il a fait ce qu'il a voulu, idée assez sympathique, sinon réjouissante ?
Dans un premier temps, les 7 artistes chorégraphiques et le musicien, tous iraniens, nous regardent entrer dans la salle par le haut, viennent nous parler de façon détendue un bref moment, et retournent sur la scène.
Puis, on découvre des interprètes assis de part et d'autre du plateau, observant une succession de solos. Ils sont tous habillés de vêtements larges et confortables, d'un noir élégant et sobre. L'écriture est précise, acérée. On ne sait pas si il s'agit de faire une succession de gros plans d'une chorégraphie de groupe préexistante. Travail de qualité mais austère, dans le silence. Les interprètes se réunissent au bout de 38 minutes (la pièce dure 1h15), où la musique advient. Le groupe va se rassembler un temps sur la droite, on songe à des prisonniers dans une cour de prison. Pas de pathos, ou de tourisme culturel. Les corps vont se détendre enfin, des courbes apparaissent, pour une danse d'une élégance folle. Les 10 dernières minutes enivrent puissamment. On finit bouleversé, K.-O.
Au moment des saluts, le chorégraphe prend la parole, pour rappeler les manifestations qui secouent l'Iran depuis septembre dernier et la répression du pouvoir, expliquant que le problème n'est pas le hijab mais la lutte pour la liberté, dans un pays sous domination religieuse depuis maintenant 42 ans.
Fabien Rivière
— Sacrificing While Lost in Salted Earth, de Hooman Sharifi, au Cent-Quatre Paris, dans le cadre du festival Les Singulier-es (18 janvier au 17 février, En savoir +), et Théâtre de la Ville - Paris Hors les murs, du 18 au 21 janvier 2023. En savoir +
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