dimanche 15 septembre 2024

Frédéric Werlé en vadrouille dans sa vie (« My choreographic suitcase ou ma dernière révérence »)

Les trois interprètes de My choreographic suitcase ou ma dernière révérence
(de gauche à droite, Paul Peterson, Lucie Euzet et Frédéric Werlé) en tournée à La Rochelle, Photo DR
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En langue française, on dit « Se pencher sur son passé ». Métaphore éminemment chorégraphique. Mais comment faire, dans l'exercice, pour rester droit ? Non pas « droit dans ses bottes », mais simplement rester debout, sans tomber ou se faire mal. 

Le festival bien fait !, l'un des trois festivals (avec Faits d'hiver en janvier et février et Fait maison en juin) qu'organise (sur dix jours), en ce mois de septembre, Micadanses à Paris, proposait sans l'afficher explicitement une soirée penchée sur le passé. Avec déjà un temps fort, My choreographic suitcase ou ma dernière révérence, du français Frédéric Werlé, qui a dépassé la cinquantaine, qu'il interprète avec le musicien britannique de culture rock Paul Peterson et la française Lucie Euzet aux lumières. C'est le début de ses adieux, annonce-t-il. À l'issue de la représentation on lui fera remarquer, mi-taquin mi-sérieux, qu'il lui reste, au bas mot, une trentaine d'années devant lui. Estimation qu'il trouve un peu optimiste. Mais dans le butoh on peut commencer à la soixantaine. Tout est relatif.  

Debout après la personne qui scanne les billets, le chorégraphe accueille chaque spectatrice et spectateur d'un sourire et d'une solide poignet de main. L'homme, ou plutôt le bonhomme, sait recevoir. L'art c'est bien, mais l'humain c'est pas mal aussi. 

La scénographie, réaliste, est bien remplie. On aime beaucoup ces deux écrans, contrepied bienvenu où deux ciels noirs remplis d'étoiles immobiles scintillent dans un infini vertigineux.  

Que faire de son passé ? Frédéric Werlé a un solide parcours de danseur chez Philippe Decouflé, Régine Chopinot, Josette Baïz, Marcia Barcellos et Karl Biscuit, Georges Appaix, Angelin Preljocaj ... C'est aussi un chorégraphe. Qui pose une question cash : a-t-il « réussi » ? Il s'interroge à voix haute : « On est plusieurs à avoir raté la navette [comprendre, « du succès »] ». Tout se résume(rait) à l'argent et au talent. Il n'a pas le premier. Ni le second. Que faire « avant de raccrocher mon tutu », interroge celui qui défend la danse contemporaine ? Il évoque (invoque ?), sobrement mais puissamment, « tous les danseurs anonymes qui ont disparu. » Quelles traces demeurent ? Quelles archives ? Quelle histoire de la danse doit-on écrire ? Et qui écrit cette histoire ? Une histoire officielle ? Les intéressé-e-s ne sont-ils-elles pas dépossédé-e-s de leur histoire ? Il porte un regard aiguisé sur la profession, sincère et réaliste, avec la juste distance, sans charabia ni pathos, toujours élégant. Mais sur sa vie, il lâche soudain un pudique mais définitif « Je ne retiens rien de ma carrière », heureusement contrebalancé par un plus tranquille et réaliste : « Je suis là. Je suis en vie. » En effet. 
Fabien Rivière
— Vu le 13 septembre 2024.
— Soirée partagée avec Dégringolade ou l'Art de rester debout, de Ashley Chen & Pierre Le Bourgeois. 
— Programme du Festival :  ICI (format Pdf)
— On peut retrouver Frédéric Werlé au Regard du Cygne (Paris, 20°) le samedi 21 décembre prochain pour une carte blanche. leregarducygne.com  

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