samedi 30 novembre 2024

La déflagration Tiran Willemse (« blackmilk »)

Tiran Willemse, Photo Laila Kaletta


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« (...) un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous » écrit Franz Kafka, alors âgé de 20 ans, à son ami Oskar Pollak, historien d'art tchèque, en janvier 1904. Cette remarque qualifie parfaitement le solo de cinquante minutes que signe et interprète Tiran Willemse, blackmilksud-africain qui vit à Zurich (Suisse) et Berlin (Allemagne)un soir glacial de fin novembre 2024 à l'Atelier de Paris, dont on sort singulièrement secoué pour ne pas dire bouleversé. On peut citer cette autre réflexion de l'écrivain : « Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? »

Le « nous » concerne aussi bien l'artiste que le spectateur, la danse contemporaine devant réussir à échapper au statut de gentil ou inoffensif divertissement, produit que l'on consomme sans que cela change grand chose à notre perception des choses, ni à notre vie. Routine et paresse, en quelque sorte. 

Tiran Willemse dans blackmilk, Capture d'écran Espaces Magnétiques 
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Sans doute, dans le feuille de salle, le chorégraphe explicite-t-il la démarche qui est la sienne. Faut-il en parler ici, un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout ? On préfère l'option "pas du tout." C'est qu'il nous semble qu'il s'agit d'abord de l'auto-portrait d'un homme, une espèce de road movie solitaire, qui traverse différents paysages, intérieurs et extérieurs, paysages mentaux déroutants, courageux, vertigineux, de jour et de nuit : « L'art est, comme la prière, une main tendue dans l'obscurité, qui veut saisir une part de grâce pour se muer en une main qui donne » écrit aussi Kafka. Obscurité est un mot proche d'humanité. 

Tiran Willemse est un exceptionnel danseur, solide, souple, concentré, précis. Il accueille le public dans la pénombre, de dos, pieds nus, portant un jogging et sweat noirs à capuche rabattue sur la tête, le visage dissimulé un certain temps. On songe au solo de dos de Trisha Brown (1936-2017)If You Couldn't See Me, vu lors du festival Montpellier Danse le siècle précédent, en plein air.

 Tiran Willemse dans blackmilk, Capture d'écran Espaces Magnétiques


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Il va finir par enlever son sweat, puis son t-shirt, comme des peaux qu'on abandonne. Il nous fait face, dans un sourire certes, mais qui suggère exactement le contraire. Dans un cadre toujours très rigoureux qui évite la facilité et le pathos. Il semble perdre alors le contrôle, un homme est-il en train de perdre pied devant nous et devenir fou ? Dérèglements impressionnants. Secousses. Mais la vie demeure plus forte, en tout cas pour le moment. La beauté de la vie.   

À la fin du spectacle, quand l'obscurité se fait, les applaudissements débutent. Comme si de rien n'était, notre homme se dirige vers le mur du fond de la scène, enfile la chaussure qui lui manque, puis se dirige vers nous sur la pointe des pieds, lentement, comme s'il portait un kimono, dans une tenue et élégance toute japonaise. Vif, à l'affût, il observe le public tranquillement, il n'est pas dupe, mais rayonne dans un extraordinaire sourire.
Fabien Rivière
blackmilk, de Tiran Willemse, Atelier de Paris ICI, La Cartoucherie, Centre Culturel Suisse On Tour ICI, 27 et 28 novembre 2024.   

— Tiran Willemse : « Je viens d'une famille noire sud-africaine de la classe ouvrière, aux ressources très limitées. J'ai toujours pu compter sur mon corps. Je me souviens que lorsque j'étais jeune, j'ai toujours voulu jouer d'un instrument, mais ma famille n'avait pas d'argent pour m'en acheter ou m'en procurer un. J'ai simplement commencé à danser, parce que c'est la seule chose pour laquelle je n'avais besoin de rien d'autre que de moi-même. » (source : PW-Magazine, ICI
(« I come from a black working-class South African family with very limited resources. My body was always what I could count on. I remember when I was young I always wanted to play an instrument, but my family had no money to buy or get me one. I just started dancing, because it’s the only thing I didn’t need anything else but myself for. »)

— La proposition s'inscrit dans le Swiss Dance Week Paris, organisé, du 21 au 28 novembre 2024, par des théâtres en coopération avec le Centre Culturel Suisse (CCS) hors les murs puisqu'il est en travaux, renommé Centre Culturel Suisse On Tour. La manifestation bénéficie du soutien de Pro Helvetia - Fondation suisse pour la culture

mardi 26 novembre 2024

Kendrick Lamar (USA), squabble up

Extrait de l'album GNX sorti le 23 novembre 2024.
squabble up = se disputer, se quereller, se chamailler
L'ALBUM (écoute) > youtube 
L'ALBUM VERSION RALENTIE (écoute et achat)  >  bandcamp  

lundi 25 novembre 2024

Pétition contre des coupes brutales dans le budget de la Culture de la région Pays de la Loire


Espaces Magnétiques publie volontiers la pétition qui s'oppose à la folie destructrice d'une élue, en l'espèce la présidente de la région Pays de la Loire, Christelle Morançais, qui annonce des coupes générales, très importantes et brutales dans le budget de la Culture de cette région dès l'année prochaine, et suivante. On peut indiquer qu'elle est de formation commerciale, ayant travaillé pendant vingt ans dans l'immobilier au sein de TPE/PME et de grands groupes. En février 2024, elle a annoncé rejoindre Horizons, parti présidé par l'ancien Premier ministre Édouard Philippe. 
— On peut signer la pétition à cette adresse  >  ICI 
Espaces Magnétiques
La région Pays de la Loire, qui comptait 3.873.096 habitants en 2022, comprend cinq départements : Loire-Atlantique (44, chef-lieu : Nantes), Maine-et-Loire (49, chef-lieu : Angers), Mayenne (53, chef-lieu : Laval), Sarthe (72, chef-lieu : Le Mans) et Vendée (85, chef-lieu : La Roche-sur-Yon).
Région Pays de la Loire


           PÉTITION        

Pays de la Loire : mobilisation des artistes et professionnel·les de la culture contre les sévères coupes budgétaires envisagées par la Région

Nous sommes des artistes, travailleuses et travailleurs dans la culture, liés aux Pays de la Loire. Nous sommes choqué·es par les récentes déclarations de la présidente du Conseil Régional, Madame Christelle Morançais, et terrifié·es par les arbitrages budgétaires qui seraient prévus au vote de l'assemblée régionale du 19 décembre 2024.

 

ll serait donc question d'une coupe drastique allant jusqu'à 73% du budget de fonctionnement de la culture, interrompant totalement dès 2025 les subventions allouées aux festivals, aux théâtres, aux musées, aux opéras, aux maisons d’auteur·rices, aux centres d’art, aux productions audio-visuelles, aux artistes, mais aussi aux clubs sportifs et aux associations œuvrant pour l'égalité Femme/Homme et la solidarité. C’est un coup porté à la société civile tout entière. Aucune autre région n’a fait de tels choix à l’échelle nationale.   

 

Nous avons choisi de vivre dans cette magnifique région et d’y développer nos activités. C'est ce territoire que nous arpentons chaque jour avec nos mots, nos œuvres, nos spectacles, nos concerts, nos images, nos films, parcourant les bibliothèques, les écoles, les collèges, les lycées, les maisons de quartiers, les librairies, les maisons de retraites, les hôpitaux, les prisons ... Et c'est dans ces lieux que nous travaillons.

 

Chaque jour, nous constatons la vitalité culturelle de cette région. Nous savons qu’elle est le fruit de décennies du travail patient de femmes et d’hommes engagé·es qui ont œuvré à la décentralisation culturelle, faisant en sorte que les communes, les départements, les régions et l’État s’entendent pour créer des institutions ouvertes à toutes et tous, soutenir les initiatives citoyennes, l'entrepreneuriat culturel et faire vivre le patrimoine. 

 

Ce modèle français, qui repose sur le financement croisé des collectivités et de l'État, a produit partout émancipation, désenclavements et partage des savoirs. C'est ce modèle qui a engendré la diversité culturelle et l'attractivité des régions et des villes de France que le monde entier nous envie. 

 

Tout cela est aujourd’hui violemment attaqué par la Région Pays de la Loire, qui sous couvert de la cure d'austérité imposée aux collectivités par le gouvernement Barnier, annonce 100 millions d'économie (quand on lui en demande 40), dont une bonne partie prise sur la culture, le sport, l'égalité Femme/Homme et les solidarités, arguant que “dans de nombreux domaines, la région n’a plus vocation à intervenir, ou à intervenir autant”. 

 

Ce virage politique, pris sans concertation aucune et du jour au lendemain, ferait vaciller tout l'écosystème en fragilisant ses grands équilibres. 

 

Nous dénonçons ce qui s’apparenterait à un plan social de la culture. Cette décision serait mortifère pour les 150 000 emplois concernés, qu'ils soient permanents ou intermittents, et pour tout un ensemble de professions libérales et de petites entreprises qui gravitent autour du secteur de la culture publique, hautement créateur d'emplois et de richesse économique.  

 

Nous dénonçons l’incohérence d'une politique régionale qui dénature par ses choix dangereux ses trois priorités politiques : la jeunesse, l’emploi et la transition écologique.

 

Nous dénonçons une dialectique visant à créer de la division au sein de la société, à désigner les bonnes et les mauvaises manières de produire de la vie artistique et culturelle, alors que c'est la combinaison d'un secteur public de la culture en bonne santé avec des industries culturelles dynamiques qui fait la richesse et la variété du tissu culturel français. 

 

Nous demandons, enfin, que les mécanismes démocratiques soient respectés, et que les acteurs et actrices culturel·les soient concerté·es dans la prise d’une décision aussi lourde de conséquences pour l’ensemble des électeur·rices, citoyen·nes, usager·es ligériens et ligériennes.


Les premiers signataires

 

Zaho de Sagazan, autrice, compositrice, interprète et musicienne ; Alain Mabanckou, écrivain, directeur artistique du festival Atlantide ; Alice Zeniter, autrice, metteuse en scène ; Christophe Honoré, réalisateur, scénariste, écrivain et metteur en scène ; Anna Mouglalis, comédienne ; Daniel Pennac, écrivain ; Phia Menard, chorégraphe et plasticienne ; Dominique A, auteur, compositeur, interprète ; Emily Loizeau, autrice-compositrice-interprète ; Pierrick Sorin, artiste plasticien ; Marielle Macé, écrivaine et enseignante ; Mathieu Amalric, réalisateur et acteur ; Philippe Katerine, chanteur, auteur, compositeur, acteur ; India Hair, comédienne ; Patrick Bouchain, architecte ; Jeanne Cherhal, autrice, compositrice, interprète ; Alexis HK, auteur compositeur interprète ; Vanessa Wagner, pianiste ; Edwy Plenel, journaliste, cofondateur de Mediapart ; Ezra, Beatboxer, Directeur artistique Cie Organic Orchestra ; François Morel, auteur, acteur ; Jean Rouaud, auteur, prix Goncourt 1990 ; Jérôme Clément, président du festival Premiers Plans d'Angers, ancien directeur du CNC, ancien président d'Arte ; Henri Texier, compositeur, contrebassiste de jazz ; Brigitte Giraud, écrivaine ; Amala Dianor, chorégraphe ; Etienne Davodeau, auteur de bande dessinée ; Marc Caro, réalisateur ; Tanguy Viel, écrivain, scénariste ; Xavier Veilhan, plasticien ;  Pierre Bordage, écrivain ; Rachid Ouramdane, président-directeur de Chaillot-Théâtre national de la danse ;  SUITEICI